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« Regarder des bourgeois juger des pauvres et les envoyer en prison »
#Prisons #France #inegalites
Article mis en ligne le 26 décembre 2022

Cela fait plusieurs années que deux camarades toulousains suivent les comparutions immédiates de leur ville pour raconter l’institution judiciaire dans ce qu’elle a de violent envers les plus précaires. Ces comptes rendus sont désormais disponibles dans un ouvrage intitulé Sur la sellette.

La Sellette est d’abord un blog toulousain alimenté depuis 2020 par Jonathan Delisle et Marie Laigle. Ils ont récemment publié aux Éditions du bout de la ville une sélection de récits de comparutions immédiates, accompagnées d’encarts explicatifs et d’un retour historique sur la procédure elle-même. Au fil des pages, ces chroniques hebdomadaires témoignent du côté systémique de la violence judiciaire à l’œuvre dans la chambre des comparutions immédiates. Les auteurs y décrivent une justice de classe expéditive et punitive, un simulacre grotesque où chacun joue sommairement son rôle, où l’issue pour le prévenu est presque invariablement la même : finir la journée en prison.

La comparution immédiate est une procédure accélérée qui permet de faire juger quelqu’un juste après sa garde à vue. Depuis plusieurs décennies, le recours à ce dispositif pénal s’est généralisé. Les gouvernements français s’en servent pour gonfler les chiffres de leurs politiques sécuritaires. À la base cantonnée à la catégorie restrictive du flagrant délit, on peut désormais être jugé en comparution immédiate pour la plupart des délits.

Cette procédure s’est aussi révélée une vraie arme de répression massive lors des mouvements sociaux de ces dernières années. En 2005, lors des émeutes dites « de banlieue » qui ont fait suite à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, plus de 400 personnes ont été condamnées par ce biais en moins d’un mois. Du côté du mouvement des Gilets jaunes, ils sont plus de 3 000 à être condamnés entre 2018 et 2019, dont un tiers à des peines de prison ferme. De manière générale, la procédure de « compa » augmente la probabilité d’être incarcéré, participant à l’augmentation de la surpopulation carcérale. En France, le nombre de prisonniers a doublé depuis les années 1980.

Punir les pauvres

Les comptes rendus d’audience sont glaçants par leur sobriété, la rapidité du déroulé de la séance et la disproportion entre la peine encourue et les faits reprochés, souvent minimes. Comme l’écrivent les auteurs du livre : « On passe l’après-midi, là, mal à l’aise, à regarder des bourgeois juger des pauvres et les envoyer en prison. »

L’enquête sociale rapide – dispositif censé humaniser le prévenu en informant le juge de sa situation personnelle, familiale et professionnelle – se borne souvent à dresser un simple portrait-robot dont ressort surtout l’absence criante de garanties de représentation 1 : certains prévenus ont déjà un casier, et la plupart sont sans emploi, à la rue ou en situation irrégulière. L’évidence de leur détresse psychique, de leur précarité extrême et de leur appartenance aux classes défavorisées et racisées, pire que de ne pas jouer en leur faveur, leur porte préjudice. (...)