Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Médiapart
Réforme de la PJ : Darmanin fait face à un début d’insurrection policière
#policeJudiciaire #darmanin
Article mis en ligne le 8 octobre 2022

Au lendemain d’une manifestation de mécontentement des enquêteurs marseillais, le patron de la police judiciaire du sud de la France, Éric Arella, a été démis de ses fonctions. Au risque d’amplifier la fronde contre une réforme qui ne passe pas.

« Les« Les purges, c’est pas qu’à Moscou. » À l’annonce du limogeage d’Éric Arella, directeur de la police judiciaire dans la zone Sud (qui couvre l’ensemble de l’arc méditerranéen), ce gradé de la PJ parisienne ne mâche pas ses mots.

Un an après la fronde de la justice contre le manque de moyens, gérée tant bien que mal par Éric Dupond-Moretti, c’est au tour de Gérald Darmanin de connaître la tourmente.

La police judiciaire semble désormais prête à se soulever contre une réforme structurelle très contestée. Au nom de la « départementalisation de la police », elle laisse en effet craindre une dévitalisation des services de police judiciaire, une caporalisation des enquêteurs et un contrôle politique accru sur les dossiers les plus sensibles.(...)

Le feu qui couve depuis plusieurs mois, à bas bruit, a déjà conduit à la création de l’Association nationale de police judiciaire (ANPJ), hors de tout cadre syndical, tandis que les magistrats ont apporté leur soutien aux policiers avec lesquels ils travaillent sur les affaires qui nécessitent une expertise particulière. En premier lieu, celles liées au crime organisé et aux malversations financières, qui souffrent déjà d’une « crise des vocations » identifiée depuis plusieurs années.

Jeudi, Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale (DGPN) depuis février 2020, a été accueilli à Marseille par une « haie de déshonneur » particulièrement rare et marquante. Tout au long de son parcours, des policiers se tenaient face à lui, bras croisés, des pancartes contre la réforme à leurs pieds. (...)

La réaction à cet affront n’a pas tardé. Vendredi après-midi, le DGPN a démis de ses fonctions le directeur de la police judiciaire de la zone Sud, Éric Arella, tenu pour responsable du comportement de ses troupes. En poste depuis sept ans, celui-ci dirigeait près de 1 500 enquêteurs et enquêtrices dans 21 départements, répartis entre Toulouse, Montpellier, Marseille et Ajaccio.

Très apprécié, le nom d’Arella circulait comme possible futur directeur de la PJ parisienne ou même directeur central de la police judiciaire (DCPJ), d’ici un an ou deux. En lieu et place, il part lundi prochain pour l’IGPN – ce qui, dans ce contexte, n’a rien d’une promotion. Comme en miroir de l’accueil réservé à Frédéric Veaux la veille, des policiers marseillais ont fait une « haie d’honneur » à leur ex-patron qui quittait l’« Évêché » vendredi. (...)

Le Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN) déplore une « décision brutale et injuste » et apporte « son entier soutien » à Éric Arella. L’Association française des magistrats instructeurs (AFMI) a également fait part de sa « consternation » face à une décision « inquiétante et significative d’un mode de gestion autoritariste » (...).

Un haut responsable de PJ ne décolère pas. « Cette éviction est une déclaration de guerre d’une extrême violence. » Il rappelle auprès de Mediapart qu’Arella est non seulement « respecté et reconnu pour son professionnalisme », mais aussi « celui qui tente d’apporter des solutions pour sortir de cette crise ». À ses yeux, la décision de Veaux est « une insulte pour l’ensemble des policiers. La situation est insurrectionnelle et pour en sortir, il est logique que la démission de Veaux soit demandée ». (...)

selon des sources policières haut placées, ce serait surtout Gérald Darmanin qui aurait pris ombrage des images de la grogne marseillaise de la veille, et qui aurait décidé avec Frédéric Veaux de la mise à l’écart d’Éric Arella. « Cela faisait désordre pour le ministre, croit savoir l’une d’entre elles. S’il a été reconduit à la tête de Beauvau, c’est parce qu’il n’avait eu aucun mouvement social dans la police quand il était aux manettes… »

À Marseille, des enquêteurs « sous le choc »

Un peu partout en France (ici à Versailles, là à Nanterre), des policiers ont manifesté en nombre leur soutien au commissaire marseillais et leur opposition à la réforme. Ce soir, à Nantes, on peut lire sur les pancartes des manifestants « #Je suis Arella ».

Pendant ce temps devant le siège de la PJ marseillaise, le mot « martyr » est bien lâché par plusieurs fonctionnaires qui ne manquent pas d’éloges pour qualifier, désormais au passé, leur chef tout juste démis. (...)

Depuis Beauvau, un haut cadre du ministère confie vendredi soir son sentiment « d’énorme gâchis ». Il n’a rien raté des images des manifestations dans la France entière et explique n’avoir « jamais vu ça ». « En temps normal, la PJ, c’est une direction qui ne fait pas de bruit. Là, les collègues sont très remontés. C’est puissant ce qui se passe. »

L’Association nationale de police judiciaire appelle à de nouveaux rassemblements le 17 octobre, entre 12 heures et 14 heures « pour obtenir la sanctuarisation de la PJ » (...)

Très focalisés sur les questions de sécurité publique, qui concernent le gros des troupes, les syndicats prennent rarement position sur des sujets spécifiques à la police judiciaire. Sans leur soutien, les protestations risquent toutefois de rester cantonnées à cette filière, sans acquérir le poids politique nécessaire pour remettre en cause la réforme. (...)