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Reconnaître la contribution essentielle mais invisible des proches aidants
Article mis en ligne le 27 mai 2020
dernière modification le 26 mai 2020

Conjoint·e·s, parents, enfants, ami·e·s, voisin·e·s… de nombreuses personnes aident une ou un proche entravé·e dans le déroulement de sa vie quotidienne en raison d’un handicap ou de l’avancée en âge. Si les statistiques publiques estiment que ces aidant·e·s sont 8,3 millions en France, il est nécessaire de préciser que ce chiffre ne distingue pas les aidant·e·s régulièrement investis dans un accompagnement et des soins quotidiens de celles et ceux apportant un simple soutien ponctuel.

(...) D’un côté, certains acteurs jugent que les solidarités familiales sont « dévoyées » dans et par la rémunération des aidant·e·s. Selon eux, le paiement introduit un rapport monétaire, volontiers associé à l’avidité, dans des liens familiaux qui devraient rester le domaine de la gratuité et du désintéressement. (...)

Un autre élément avancé par les opposants à la rémunération est le risque d’un désengagement de l’État qui, par des transferts monétaires finalement peu coûteux, pourrait se défausser de ses obligations en matière de prise en charge globale de la dépendance.

La position inverse soutient une aide monétaire comme pragmatique

Un tout autre argumentaire soutient à l’opposé l’idée que les services à domicile ne sont pas disponibles ni en qualité, ni en nombre suffisant pour affronter les besoins réels. (...)

Les revendications portent alors sur une meilleure rémunération des proches aidant·e·s, qu’ils jugent devoir être d’un niveau équivalent à celle des professionnels, mais aussi sur un meilleur accès aux droits sociaux. (...)

L’ambivalence du discours institutionnalisé à l’égard de la rémunération des proches rappelle, d’une part, la subsidiarité de l’aide publique sur l’aide familiale, c’est-à-dire qu’elle n’intervient que si la solidarité familiale fait défaut.

D’autre part, l’idée selon laquelle les solidarités familiales doivent se soustraire aux règles du marché souligne combien les représentations sont marquées par l’idée d’hostilité des mondes sociaux de l’activité économique et de l’intimité : dans les représentations usuelles, monnayer un acte affectif ou qui relève de la sphère familiale revient à le pervertir ou le corrompre.
La rémunération améliore les situations

Dans la plupart des parcours, l’activité d’aide préexiste à l’obtention d’un statut et d’une rémunération. (...)

La rémunération n’est pas un critère déterminant d’entrée dans la carrière d’aidant, mais elle est parfois présentée comme le moyen de parer à une absence de ressources ou d’emploi en raison d’un important engagement dans l’accompagnement. (...)

Au final, la rémunération de l’aidant·e est souvent présentée comme un choix par défaut, lorsque le coût, le manque de place, l’inadaptation de la structure à la situation de l’aidé empêchent son accueil ou lorsque l’intervention de professionnels n’est pas possible ou souhaitée.

La rémunération de l’aide consentie à un proche peut améliorer des situations de précarité et consolider les parcours, un tant soit peu, de plusieurs façons. (...)

Plusieurs cas analysés montrent comment les inégalités dans l’activité d’aide redoublent les inégalités vécues dans le monde professionnel, notamment celles liées au genre. (...)

Certain·e·s aidant·e·s refusent que l’aide apportée à leur proche soit reconnue socialement comme un travail, voire une profession : en tant que parent·e ou ami·e, ils et elles jugent leur aide « naturelle » et rejettent l’identification au statut d’auxiliaire de vie, voire même au statut d’aidant. D’autres expriment au contraire le regret de la faible reconnaissance sociale de cette activité, qu’il s’agisse de sa pénibilité ou du niveau de sa valorisation monétaire.

Ainsi le registre du travail n’offre pas, dans le cas des proches aidant·e·s, de références complètement stabilisées. Les situations d’emploi sont parfois artificielles, comme lorsque le parent employeur ne possède pas ses facultés cognitives. (...)

Les points de tension les plus courants sont liés aux actes intimes comme la toilette qui impliquent une proximité corporelle et bousculent les normes familiales préétablies. Les cadres temporels de l’aide et la conservation d’un temps pour soi ou sa famille en dehors de l’activité d’aide plongent aussi les aidant·e·s dans des dilemmes profonds. Les arbitrages sont d’autant plus difficiles qu’au sein même de ces deux registres, les normes sont plurielles et non stabilisées. (...)

Les points de tension les plus courants sont liés aux actes intimes comme la toilette qui impliquent une proximité corporelle et bousculent les normes familiales préétablies. Les cadres temporels de l’aide et la conservation d’un temps pour soi ou sa famille en dehors de l’activité d’aide plongent aussi les aidant·e·s dans des dilemmes profonds. Les arbitrages sont d’autant plus difficiles qu’au sein même de ces deux registres, les normes sont plurielles et non stabilisées. (...)

La relation d’autorité est également un sujet sensible et notre enquête suggère qu’un dialogue entre aidant·e et aidé·e peut permettre de trouver un terrain d’entente sur ce qui est souhaitable et bénéfique pour l’un·e et l’autre, dans la perspective de chacun, favorisant ainsi la bientraitance.

Dans ce contexte d’incertitude normative, lorsque les aidant·e·s et leur proches dépendants ne parviennent pas, ou sont dans l’incapacité du fait de leur handicap, de négocier verbalement les frontières de l’aide, celles-ci se délimitent au travers de conflits plus ou moins ouverts, de stratégies de résistance ou de retrait (...)

La rémunération peut favoriser l’équilibre des rapports grâce au sentiment de compensation de l’effort et d’un juste échange entre proches. Dans ce cas, elle peut limiter les risques de maltraitance. Dans d’autres, a contrario, elle accentue les rapports de force entre proches, en venant justifier les exigences tyranniques. Les situations aiguës d’isolement et de repli social fragilisent le huis clos aidant·e/aidé·e et tendent à durcir les conflits.

Des inégalités qui persistent (...)

Si l’on ne peut que saluer la dernière Stratégie de mobilisation et de soutien en faveur des aidants, lancée par le Gouvernement le 23 octobre 2019, qui comporte diverses mesures de soutien et d’amélioration des droits sociaux tels que l’indemnisation du congé de proche-aidant et le renforcement des dispositifs permettant à l’aidant·e de prendre un répit, il faut souligner qu’elle est particulièrement timide concernant le statut des proches aidant·e·s rémunérées, en annonçant seulement la « simplification de leur déclaration » permettant de « clarifier leur régime fiscal et social […] afin de l’aligner avec celui en vigueur pour l’allocation éducation enfant handicapé ».

La consolidation du statut de proche aidant·e rémunéré·e constitue ainsi un besoin urgent de familles souvent aux prises avec des situations matérielles et morales inextricables.