
La mort de Nahel, tué par un policier le 27 juin, aurait pu relancer dans le débat public la question du racisme dans la police. Mais sur BFM-TV – comme presque partout ailleurs dans l’audiovisuel, ainsi que dans une large partie de la presse – cette question reste largement taboue, comme le demeure celle des violences policières.
l’article du Washington Post dit surtout combien « le racisme systémique embrase les villes françaises », comme l’indique... son titre, qui s’affiche à l’antenne ! Dommage que la journaliste de BFM-TV n’ait pas été assez « polyglotte » pour le comprendre et mettre sur la table ce qui constituait pourtant l’angle principal de cet article. (...)
déni ? auto-censure ? Une chose est certaine : sur BFM-TV, le racisme dans la police n’est pas un fait, en dépit des condamnations judiciaires de la France en la matière, des innombrables enquêtes de presse, études sociologiques, rapports d’ONG, du Défenseur des droits et d’organisations internationales [1] existant sur le sujet [2], jusqu’au rapport du déontologue du ministère de l’Intérieur lui-même, qui décrivait il y a moins d’un an « les discriminations qui règnent au sein des forces de l’ordre » (...)
Certes, le verrouillage de BFM-TV sur toute question ayant trait à la police ne surprend plus. Les policiers syndicalistes entrent dans les studios comme dans un moulin, défilent en plateau à la queue leu leu et voient en prime leur communication assidûment relayée par la rédaction. Il y a quelques mois, Mediapart révélait que la direction de la chaîne avait même « officiellement proscrit » l’usage du terme « violences policières », le jugeant « politiquement connoté », et incitait ses journalistes à « lui préférer des formules du type "dérapages" [...] ou "accusations de violences policières" » [6]. Des consignes que certaines des têtes d’affiche de la chaîne appliquent avec zèle, allant jusqu’à inciter des intervenants invités à l’antenne à s’y conformer. (...)
C’est ainsi que, systématiquement, jusque dans la sémantique utilisée, « l’information » est saturée de biais, quand sa lecture n’est pas ouvertement orientée par les commentaires. Le matin du 8 juillet, un autre présentateur, Philippe Gaudin, présente les revendications du Comité Adama, qui appelle alors à manifester, en affirmant à plusieurs reprises que ce dernier entend protester « contre le racisme supposé dans la police »... Ou comment en un mot, l’homme-tronc de service parvient à éditorialiser une information qui lui déplaît…
Ailleurs dans les médias dominants – et à rebours du travail fourni par les médias indépendants ou L’Humanité [7] –, la question du racisme policier est également un non-sujet, à l’exception notable de Libération [8], comme du Monde [9]. Tout au mieux en trouve-t-on des mentions au gré de propos rapportés, vis-à-vis desquels les rédactions prennent d’ailleurs leur distance, notamment en usant de guillemets : « Mort de Nahel. À Bordeaux, près de 300 personnes contre "l’État policier" et le "racisme systémique" » (Sud Ouest, 8/07) (...)
Ceci étant dit, tout peut arriver... ! En ce sens, et une fois n’est pas coutume, saluons l’audace dont a fait preuve la matinale de France Culture en conviant Alain Bauer, le professeur de criminologie préféré des médias [10], à débattre du sujet « Police : aux origines de la crise » (4/07). Ce jour-là en effet, passé le gloubi-boulga initial, l’expert ès sécurité aura livré, à son corps défendant, une analyse pour le moins édifiante de la question :
- Guillaume Erner : Alain Bauer, lorsqu’on évoque le racisme dans la police, est-ce qu’il faut parler selon vous de comportements individuels ou au contraire, d’une question systémique ?
- Alain Bauer : J’ai toujours eu un problème avec cette idée de la systématisation de tout, pour des gens qui en général passent leur temps à expliquer qu’il faut individualiser le reste. Donc je vais le dire une bonne fois pour toutes : il y a des policiers racistes, il y a des policiers fascistes, il y a des policiers cons, il y a des policiers malfaisants et ils sont une petite minorité et ce sont des individus. Parfois, éventuellement, il y a un effet de bande ou de groupe, mais une institution qui passe son temps à sanctionner les policiers et à expliquer que ce n’est pas ce qu’il faut faire n’est pas une situation systémique. Le vrai problème, c’est la réaction de corps, une certaine forme d’omerta où la très grande majorité des policiers, pour des raisons qui sont celles de toute institution qui se sent agressée, défend ces brebis galeuses, et ne se rend même pas compte qu’elle est en train de se suicider en le faisant.
Quant à Alain Bauer, il ne se rend vraisemblablement pas compte qu’il est précisément en train de donner partie de la définition... du racisme systémique ! Dommage que Guillaume Erner ne le lui ait pas signalé...