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Jean-Marie Harribey, pour Alternatives Economiques
RTT, écologie, retraite et gains de productivité : Michel Rocard se trompe doublement, et il n’est pas le seul
Article mis en ligne le 22 mars 2013
dernière modification le 19 mars 2013

Michel Rocard est intelligent et il a le verbe haut. Il a une formule jolie et qui pourrait avoir une certaine validité : « Travailler beaucoup plus, mais tous ensemble collectivement et moins individuellement, voilà la solution. »[1]

À l’appui de cette idée, il indique que, pendant les Trente Glorieuses, les Français travaillaient 41 milliards d’heures par an. Aujourd’hui, ils ne travaillent que 37 milliards d’heures, mais on compte 5 millions de chômeurs. Le calcul serait simple : retrouvons les 41 milliards pour atteindre le plein emploi. Le calcul est-il juste ?

(...) Réduire ou allonger le temps de travail : il faut choisir

Aujourd’hui, en arrondissant un peu car il y a des temps partiels[2], environ 23 millions d’actifs-équivalent-temps complet ont un emploi et travaillent donc 37 milliards d’heures. Ce qui donne une moyenne de 1600 heures par an pour un temps complet ou bien 1480 heures si on tient compte des 4,6 millions d’emplois à temps partiel[3]. Si on donne un emploi aux 5 millions de chômeurs et que les désormais 30 millions d’actifs à temps complet travaillent 41 milliards d’heures, ils travailleront chacun 1366,7 heures par an. La RTT sera donc de 1366,7 / 1480 = 0,9234, soit une baisse moyenne de 7,66 %. Ramenée à la semaine, cela représente un passage de 36,5 heures (horaire effectivement travaillé en moyenne aujourd’hui) à 33,7 heures. On n’est pas vraiment rendu à 32 heures ou moins, comme le prônent Michel Rocard et Pierre Larrouturou[4].

D’où vient cet écart ? De l’erreur qui consiste à vouloir travailler 41 milliards d’heures alors que, sur la base des besoins actuellement couverts, 37 milliards d’heures suffisent. Donc, pour embaucher 5 millions de chômeurs tout en maintenant un volume d’heures de travail global constant, l’horaire annuel individuel devrait être de 37 milliards / 30 millions = 1233,3 heures. Cela représenterait une RTT de 1233,3 / 1480 = 0,8333, soit une baisse de 16,7 %. Ramenée à la semaine, cela représenterait un passage à environ 30,4 heures. Là, on serait dans l’ordre de la RTT significative telle que semble le souhaiter Rocard. (...)

Mais il faut interroger plus à fond l’hypothèse d’un retour à un volume global de 41 milliards d’heures de travail. Comment cette hypothèse s’accorde-t-elle avec la prise en compte de l’écologie ? Elle ne peut pas s’accorder, et cela d’autant moins qu’on n’imagine pas que la transformation envisagée puisse se faire instantanément.
(...)

Michel Rocard se trompe donc doublement : socialement et écologiquement. Et la contradiction éclate lorsqu’il aborde la question des retraites. En effet, il préconise d’allonger la durée de cotisation à 43 ans et de reculer l’âge de la retraite jusqu’à 65 ans.[5] Au double motif que travailler éviterait une « mortalité forte juste après 60 ans » (sic) et « résoudrait le sous-emploi des seniors » (avec quels emplois ?). Fait-il semblant de ne pas comprendre que, si on augmente le temps de travail sur l’ensemble de la vie active, à un instant t, il y aura donc, pour une même démographie globale, une population active plus nombreuse ? (...)

La principale raison des confusions ci-dessus réside dans l’oubli de la relation existant entre production, emploi, productivité horaire du travail et durée individuelle du travail. (...)

Que peut-on en déduire pour l’avenir ? Personne n’en sait vraiment rien. Pas plus le Conseil d’orientations des retraites (voir mes textes précédents sur ce blog), que Michel Rocard, que les drogués à la croissance économique et, à l’inverse, que les séduits par la décroissance[6]. Il est très probable que ces gains vont continuer à se ralentir pour deux raisons essentielles : d’une part, la tertiairisation des économies qui comptent, dans les pays développés, au moins deux tiers de services dans lesquels la productivité progresse toujours moins vite que dans l’agriculture et l’industrie, et, d’autre part, la raréfaction ou la dégradation de certaines matières premières et ressources qui pèsent sur la progression de la productivité du travail. Mais peut-on en conclure que la productivité du travail va stagner, voire diminuer, dans un horizon temporel appréhensible ? (...)

il ne sert à rien ni de se lamenter, ni d’entretenir l’illusion qu’on reviendra aux temps anciens où la productivité était montée dans un TGV de la croissance.

Tout cela exige, si l’on veut retrouver le plein emploi et payer des retraites, de mettre en œuvre en permanence une réduction de la durée du travail et une réduction des inégalités de revenus pour faciliter celle-ci. Et, afin de ne pas rester obnubilé sur un point de vue quantitatif, l’important est d’améliorer le contenu du travail et celui de la production : emploi et production de qualité vont de pair. (...)

La formule de Michel Rocard serait juste à une condition : travailler moins individuellement et travailler tous, de telle sorte que la réduction individuelle fasse plus que compenser l’augmentation du nombre d’emplois si les besoins essentiels sont satisfaits. La cohérence entre le social et l’écologie est à ce prix.