
La situation géopolitique du bassin du Nil a brusquement changé avec l’annonce officielle par l’Ethiopie de la mise en chantier du barrage de la Renaissance, sur le Nil Bleu. Cette décision a réveillé en Egypte la peur viscérale de manquer d’eau, avivant les tensions régionales autour du contrôle du fleuve.
(...) Ignorée voire méprisée durant les deux derniers siècles, l’Ethiopie — d’où partent 80 % des eaux du Nil — entend imposer une vision différente du bassin du fleuve et un autre partage de ses eaux.
Après avoir été pendant près de deux siècles la puissance dominante dans le bassin du fleuve, l’Egypte subit les bouleversements récents du Proche-Orient, l’affaiblissement continu de son économie et l’interruption de son développement. Autant de facteurs qui la ramènent au statut de simple Etat riverain du Nil, dépossédé de toute capacité d’action.
Pays exutoire du fleuve, l’Egypte dépend totalement de l’étranger pour son approvisionnement en eau, assuré presque exclusivement par le Nil, qui prend ses sources à plusieurs centaines de kilomètres de ses frontières sud : en Ethiopie pour le Nil Bleu, le Sobat et l’Atbara, avec environ 80 % de la crue globale, et en Ouganda pour le Nil Blanc, qui fournit les 20 % restants.
Jusqu’à présent, le volume d’eau du Nil dont dispose l’Egypte correspondait à la part définie par les termes des accords de 1959 signés avec le Soudan sur le partage des eaux, respectivement de 55,5 et 18,5 milliards de mètres cubes d’eau par an. L’apport annuel moyen du fleuve étant de 84 milliards de mètres cubes, les 10 milliards restants correspondent au volume de l’évaporation au niveau du lac Nasser, créé par la construction du barrage d’Assouan, qui fut mis en eau en 1964. Ainsi, aucune part n’a été réservée à l’Ethiopie ni aux autres pays de l’amont du bassin du fleuve. (...)
Avec le barrage de la Renaissance et sa grande capacité de production d’électricité, de l’ordre de 6 000 mégawatts à partir de 2015-2016, l’Ethiopie atteindra une autosuffisance énergétique appréciable, et deviendra même fournisseuse d’électricité aux autres pays du bassin, essentiellement les deux Soudans — et peut-être même l’Egypte.
Compte tenu de sa position géographique, le barrage pourra difficilement participer au développement de l’irrigation, et donc de la production agricole sur les hauts plateaux situés plus en amont ainsi que dans les régions méridionales et orientales du pays. Mais une partie de l’eau stockée dans le lac, qui pourra atteindre jusqu’à 63 milliards de mètres cubes, devrait être utilisée pour la création de nouveaux grands périmètres irrigués autour du lac, en aval du barrage — certaines études évoquent 500 000 hectares (3)— et à l’intérieur du Soudan, en coopération avec ce dernier.
Faire de leur pays une grande puissance régionale, exportatrice d’électricité et productrice-exportatrice de denrées agricoles et alimentaires, telle est l’ambition des maîtres de l’Ethiopie.