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¿ Qué podemos ? Un parti en puissance
Article mis en ligne le 26 avril 2017

La vitalité de Podemos fait figure d’exception en Europe. Le mouvement espagnol peut-il survivre à son institutionnalisation ? Son positionnement au-dessus du clivage droite-gauche reste-t-il d’actualité ? À ces questions, les militants du jeune parti offrent des réponses parfois contradictoires.

En trois ans, Podemos a connu une croissance fulgurante. Le projet d’un mouvement politique anti-austérité a été lancé le 17 janvier 2014 par un groupe d’universitaires et de militants qui se sont présentés aux élections européennes quelques mois plus tard. Il s’agissait, dans un contexte de forte crise économique, sociale et politique, de « convertir l’indignation en changement politique ». Les fondateurs de Podemos cherchaient ainsi à donner une traduction électorale au mouvement des Indignés qui a émergé en Espagne à partir du 15 mai 2011 (le « 15M »), en portant leurs revendications pour une « démocratie réelle » et plus de justice sociale à l’agenda institutionnel.

Ils ont de cette manière contribué à l’exception espagnole, qui met au centre du débat public la lutte contre les inégalités et la corruption quand l’Europe se tourne vers l’extrême droite. Leur proposition a tout de suite reçu un écho considérable : des assemblées territoriales ou thématiques appelées « cercles » se sont multipliées à travers le pays, en s’appuyant sur la dynamique du 15M. Dans les urnes, Podemos a créé la surprise en remportant près de 8 % des suffrages aux élections européennes du 25 mai 2014.

Un processus d’institutionnalisation s’est alors enclenché pour transformer le mouvement en parti politique et le doter de statuts. Leur rédaction a fait l’objet d’un important travail de démocratie interne, avec l’implication de nombreux militants dans l’élaboration de la charte d’éthique et des documents politique et organisationnel de la nouvelle formation. (...)

Les résultats électoraux ont été impressionnants : Podemos a certes manqué son pari de « prendre d’assaut » le pouvoir à l’échelle nationale, mais il est entré dans de nombreuses institutions et s’est imposé comme troisième force politique en récoltant plus de 20 % des voix aux législatives du 20 décembre 2015. Ce parti gouverne désormais les grandes villes du pays dans le cadre de coalitions d’unité populaire et forme l’une des principales forces d’opposition au Congrès des députés et dans les Parlements régionaux.

Alors que ce cycle électoral s’est aujourd’hui refermé, avec la réélection du conservateur Mariano Rajoy à la tête du gouvernement en octobre 2016 grâce à l’abstention des socialistes, Podemos se trouve confronté à de nouveaux défis. Les contradictions qui traversent ce jeune parti en attente de pouvoir ont été mises en évidence lors de son deuxième congrès national, qui a eu lieu les 11 et 12 février 2017 à Vistalegre (« Vistalegre II »). (...)

Les conflits internes risquent effectivement d’affaiblir la jeune formation, qui n’a pas échappé à un processus de bureaucratisation éloignant des militants de base les élites et les permanents qui s’affrontent notamment pour la répartition des postes de pouvoir [2]. Cette disjonction entre les attentes et les intérêts des uns et des autres a été très visible lors du congrès : les militants des cercles présents dans le public ou à la tribune n’ont cessé de rappeler à l’ordre leurs dirigeants nationaux, en scandant « unidad » (unité) à chacune de leurs interventions. La lutte à laquelle se livrent les trois tendances développées ces derniers mois au sein de Podemos (les partisans de Pablo Iglesias, ceux d’Íñigo Errejón et les anticapitalistes) ne se résume pourtant pas à une querelle de personnes. Elle porte avant tout sur la nouvelle feuille de route que doit adopter le parti dans un contexte politique qui a changé.

Quatre principaux enjeux ont ainsi été posés à Vistalegre II : la redéfinition d’une stratégie politique à l’échelle nationale, l’épreuve du pouvoir dans les villes où Podemos gouverne avec d’autres formations politiques, la place des femmes au sein de l’organisation et la démocratisation du parti. (...)

Cette articulation entre l’action de rue et le travail institutionnel se pose à toute formation politique qui cherche à changer les choses en prenant le pouvoir. Elle a été théorisée par Joan Subirats, professeur de science politique et membre actif de Barcelona en Comú, la coalition citoyenne qui gère la ville de Barcelone depuis juin 2015. Selon lui, l’apparition de nouveaux partis comme Podemos correspond au « passage d’un processus destituant (de protestation et de dénonciation) à un processus constituant (visant à “occuper” les institutions) » : (...)

Cette tension entre l’intérieur et l’extérieur est au cœur des expériences des « mairies du changement » qui gouvernent désormais 20 % de la population [7].

L’épreuve du pouvoir municipal (...)

Ces coalitions d’unité populaire présentent une grande diversité de configurations. Podemos y joue parfois un rôle moteur, comme à Cadix où le maire est un ancien militant anticapitaliste. Dans d’autres cas, le parti occupe une position moins centrale au sein d’un regroupement dirigé par une figure qui lui est extérieure, comme à Madrid, Barcelone ou Valence.

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Meeting des « candidatures du changement » à Madrid le 6 avril 2015
Ces conquêtes municipales montrent qu’il est possible d’avoir une prise sur les institutions, en expérimentant de nouvelles pratiques démocratiques et en opposant à l’austérité des politiques sociales ambitieuses. À Barcelone et à Madrid, les équipes municipales ont lancé un important programme d’investissements et de dépenses sociales dans les quartiers populaires, qui s’étaient fortement mobilisés pour les élire. (...)

Ces politiques participatives marquent une rupture nette avec les 24 ans de gestion du Parti populaire, mais aussi avec les pratiques de participation ailleurs en Espagne. L’un des dispositifs les plus novateurs, inspiré des référendums d’initiative populaire, a été conçu par Pablo Soto, un informaticien qui s’est investi dans le 15M avant d’être élu adjoint à la participation. Il s’agit du site Decide Madrid qui permet aux citoyens de faire des propositions sur les politiques locales et de voter pour qu’elles fassent l’objet d’un débat et d’un référendum décisionnel – à partir du moment où elles reçoivent le soutien de 1 % des Madrilènes de plus de 16 ans. Même dans les villes où ces coalitions ne sont pas arrivées au pouvoir, comme à Parla dans la banlieue de Madrid, les conseillers municipaux issus des listes citoyennes font pression sur les équipes en place pour promouvoir la transparence et la participation dans les politiques publiques. (...)

Conscients de leurs compétences limitées, ces nouveaux élus encouragent les mouvements sociaux à maintenir la pression. Ada Colau a certes sanctionné financièrement les banques qui continuent à expulser des ménages, mais la résolution du problème du logement dépend d’une loi nationale. Certaines promesses de campagne, comme la remunicipalisation des services publics ou l’arrêt de projets urbanistiques d’ampleur, sont difficiles à tenir du fait des engagements pris auprès des entreprises par les équipes antérieures. La capacité d’action de ces coalitions citoyennes est limitée par leur position minoritaire au sein des conseils municipaux, qui les contraint à obtenir le soutien du Parti socialiste ou à gouverner par décret. Elle l’est aussi par la « loi Montoro », votée par le gouvernement de Mariano Rajoy en 2013, qui les oblige à consacrer tout excédent budgétaire au remboursement de la dette. Les nouvelles équipes municipales peuvent pourtant se vanter d’une gestion efficace, les dettes publiques ayant diminué en un an de 19,5 % à Madrid et de 10 % à Cadix. Dans son « Plan 2020 pour gagner face au Parti populaire et gouverner l’Espagne », Pablo Iglesias compte s’appuyer sur l’effet de démonstration de cette gestion locale (...)

Féminiser la politique et le parti

Outre le fait de ne pas se limiter à un seul parti et d’avoir été élaborées de manière plus horizontale et participative, ces coalitions citoyennes à la tête des grandes villes du pays présentent une autre différence par rapport à Podemos : des leaderships féminins avec les figures emblématiques d’Ada Colau à Barcelone, de Manuela Carmena à Madrid et de Mònica Oltra à Valence. (...) La place des femmes a été une question centrale lors du deuxième congrès de Podemos, alors qu’elle n’avait été que très peu abordée lors du premier. En plus des trois textes fondateurs du parti (politique, organisationnel, éthique) déjà discutés et votés en 2014, un quatrième document « d’égalité » a été élaboré cette fois-ci par chaque équipe. Il a été présenté exclusivement par des femmes à la tribune, qui ont ainsi consacré plus de 30 minutes à la défense d’une organisation « féministe » et d’une « féminisation de la politique ». (...)

Clara Serra, membre de la direction nationale, a énuméré quelques mesures pour construire « un parti où le militantisme soit compatible avec la vie » : « Nous voulons des ludothèques dans nos manifestations et nos assemblées. Nous voulons des horaires pour les réunions, des horaires de début et des horaires de fin. Nous ne voulons pas d’une culture militante où tout se décide quand les femmes sont déjà rentrées chez elles ».

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Manuela Carmena par le "Mouvement de libération graphique" de Madrid
Ces thématiques ont été portées par de nombreux intervenants tout au long du congrès, des femmes et des hommes qui ont dénoncé la présence d’une culture machiste au sein de la société et de leur organisation. (...)

Un autre sujet de désaccord concerne les procédures participatives internes. Si toutes les équipes affirment que la participation est un principe fondamental de Podemos, les mécanismes concrets diffèrent. (...)

ce qui est en jeu n’est pas seulement le futur de Podemos, mais aussi celui des formations progressistes en Europe face à la montée des forces conservatrices et xénophobes. Miguel Urbán, nouveau secrétaire de Podemos sur les questions européennes, n’était pas le seul à l’affirmer à ce congrès :

Nos ennemis sont les fantômes du fascisme, des fantômes qui s’appellent Trump et Le Pen et qui sont bien présents. […] Et l’antidote contre ces fascismes s’appelle Podemos ! (...)

L’une des grandes différences entre l’Espagne et d’autres pays européens comme la France réside, en effet, dans les questions qui dominent le débat public national : ce ne sont pas la sécurité, l’immigration ou l’islam qui sont au centre de l’agenda médiatique et des conversations ordinaires en Espagne, mais la lutte contre la corruption et les inégalités sociales. Il s’agit d’un résultat majeur du processus de transformation politique et sociale que connaît le pays depuis 2011, avec le mouvement du 15M et l’émergence de formations politiques comme Podemos. C’est en cela que le nouveau parti peut constituer un rempart à la poussée de l’extrême droite en Europe, en proposant une autre lecture de la crise économique : la responsabilité des problèmes sociaux auxquels est confrontée la population n’est pas imputée au voisin étranger ou à « l’assisté » qui abuseraient des aides sociales, mais au banquier et à l’élu corrompu. L’Espagne est d’ailleurs l’un des rares pays européens où la crise n’a pas profité au développement de formations xénophobes : la tentative de créer un parti d’extrême droite fin 2013 s’est soldée par un cinglant échec, Vox n’ayant obtenu que 1,56 % des suffrages aux élections européennes de 2014 et 0,23 % aux législatives de 2015. (...)