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Quand sautera l’ultime verrou
Selon François Cusset, les conditions d’une révolte globale sont sur le point d’être réunies.
Article mis en ligne le 3 mai 2016
dernière modification le 30 avril 2016

Les fameuses « circonstances objectives » sont-elles réunies ? L’expression du vieux Lénine, qui s’y connaissait en grondements pré-révolutionnaires, comporte une part d’humeur et une part d’événement, un élément de surprise d’un côté et, de l’autre, la certitude chez un nombre suffisant de dominés qu’ils n’ont, cette fois, plus rien à perdre. Pour que la logique de la révolte aille jusqu’au bout, au lieu d’être un prurit saisonnier ou la bonne conscience des indignés, il faut que les rages collectives contenues aient atteint une masse critique et qu’une étincelle, soudain, mette le feu aux poudres. Imprévisible par définition

Imprévisible par définition, celle-ci reste impensable, sous la chape de l’état d’urgence, l’amas des peurs coagulées et, malgré une violence policière qu’on n’avait plus vue depuis longtemps à pareille échelle, cette expertise répressive du « zéro mort » qu’exporte partout dans le monde le ministère de l’Intérieur.

Les silex de la lutte s’entrechoquent jour et nuit place de la République et ailleurs, mais pas encore d’étincelle en vue. Celle-là en revanche, la masse critique des ras-le-bol, est nettement plus manifeste qu’en d’autres temps, et plus déterminée que jamais, surtout, à perdurer. (...)

en avril 2016, le moins qu’on puisse dire est que la France ne s’ennuie pas. D’un côté, ce sont l’état d’urgence constitutionnalisé, avec pouvoirs policiers extraordinaires et militarisation de nos villes, l’abandon définitif par un État néolibéralisé des banlieues exsangues et des millions de mal-logés, la criminalisation des mouvements sociaux spontanés et le suréquipement contre-insurrectionnel (la préfecture de police est même en train d’acheter des drones pour surveillance à très basse altitude). Et, en face, de l’autre côté de ce fossé que ne cessent d’élargir les médias complices et les spécialistes de la « Grande Diversion », ce sont des feux et des contre-feux allumés partout dans l’espace social, et se multipliant ces derniers jours à un rythme qui ne trompe pas : zadistes indéboulonnables de l’Isère à la Loire-Atlantique, collectifs ruraux en sécession du Limousin à la Haute-Provence, intermittents du spectacle occupant le théâtre de l’Odéon comme en un autre printemps, grèves sectorielles en rafales mais bien coordonnées, des cheminots aux hôpitaux et de la justice au monde paysan, militants syndicaux battant le pavé ou le lançant sur les CRS sans attendre les consignes de leurs directions dépassées (qu’on dirait, plus que jamais, payées par le patronat et le gouvernement pour endiguer la vague des mécontentements), activistes d’une extrême gauche qui ne croit plus au mensonge de l’élection, réfugiés et sans-papiers bravant l’inhospitalité officielle et le refus de régularisation, indigènes d’au-delà du boulevard périphérique résolus à imposer leur réalité postcoloniale à cette France blanche qui les veut invisibles, étudiants et lycéens qu’ont convaincus d’aller se battre les diplômes inutiles, le chantage au stage et le mensonge grotesque de l’épanouissement par la vie d’entreprise.

Et, à l’épicentre de ces départs de feu, à bonne distance aussi des syndicats et des partis, il y a cette Nuit debout, inédite et opiniâtre, dont on commence à comprendre, au 55 ou 60 mars de son calendrier (commencé le 31 mars), qu’elle n’est pas réductible aux antécédents d’Occupy Wall Street ou de la Puerta del Sol (tout en leur empruntant certains modes d’action), ni au doux utopisme d’un « autre monde possible » ou au moralisme bavard de l’indignation, ni à plus forte raison à la sociologie bobo que veulent lui coller les observateurs myopes. (...)

La marge d’action est étroite, mais le débat doit avoir lieu, après trente ans de tabou sur ces questions : sabotage ou résistance physique relèvent-ils de la « violence » ? Et quels modes d’action effectifs opposer à la violence sourde du système, celle qui menace, épuise, assigne ou sacrifie des vies ? Ce dernier point est évidemment le plus difficile, l’ultime verrou qui n’a pas encore sauté. (...)