
Une assemblée des « sans-voix » – petits paysans, habitants des quartiers populaires, femmes du monde rural – s’est tenue dans la banlieue de Dakar. Une manière d’ouvrir, un peu, le Forum social mondial aux populations les plus pauvres et les plus touchées par la crise.
« À bas les dirigeants corrompus ! », « Non à la spéculation foncière ! », « La banlieue a droit à un habitat sain et à l’énergie ». Les banderoles accrochées le long du centre culturel de Guédiawaye, dans la périphérie de Dakar, sont sans équivoque. (...)« Les gens de la banlieue ne viennent pas au forum. C’est loin, ça coûte cher, au moins deux bidons d’eau », poursuit Annie Pourre, membre du réseau No Vox et d’Attac en France, qui se bat depuis dix ans pour que le grand rassemblement altermondialiste ne soit pas seulement réservé à une élite de militants aguerris, de permanents associatifs et d’experts. Elle est arrivée au forum avec une des onze caravanes de « sans », parties de Rabat, de Bamako ou de Ouagadougou. (...)Les femmes Guédiawaye dressent la liste des problème auxquels est confrontée leur banlieue : les coupures d’électricité, l’eau qui « n’est pas bonne à boire », les routes défoncées et la corruption, qui existe « en pagaille ici ». L’augmentation des denrées de base commence à peser. « Il y a deux ans, le sac de riz de 30 kg était à 15 euros. Aujourd’hui, c’est le double. Le pain a augmenté de 25% », détaille Sidiki Daff. « Et chaque année depuis dix ans l’eau augmente de 3%. » Sans être devenue potable pour autant. C’est le groupe Bouygues qui, en tant que propriétaire de la Société des eaux sénégalaises, gère la distribution d’eau à Dakar.
À la tribune, les témoignages de toute l’Afrique de l’Ouest se succèdent. (...)
« Ici les gens s’expriment avec leur langage, leur imaginaire. Parler crise financière ou crise globale, c’est une abstractions pour eux, c’est un discours excluant », explique Sidiki Daff. « On ne peut pas demander à ces hommes et femmes en lutte d’aller aussi vite dans l’analyse que les experts. Un paysan qui est exproprié de sa terre comprend parfaitement un citadin qui est expulsé de son logement. Mais il faut donner le temps à ces convergences, et obtenir des victoires concrètes », ajoute Annie Pourre.(...)
Ce décalage est loin d’être spécifique à l’Afrique. « Nous avons choisi de créer No Vox, parce qu’au premier Forum social européen (à Florence, en Italie, en 2003), nous nous sommes aperçus qu’il y avait peu d’acteurs des luttes concrètes, ne serait-ce que pour y témoigner. » Les « sans » doivent donc aussi se battre pour avoir leur place au Forum, et surtout pour que le forum aille vers eux, dans les villes où il se tient. Les dalits, les intouchables, étaient présents en nombre au Forum social de Bombay en Inde, les peuples autochtones amazoniens étaient largement représentés à celui de Belém.(...)
Pour les participants, une gestion publique et citoyenne de la ressource s’impose donc. Solange Koné, une assistante sociale venue de Côte d’Ivoire, prend la parole : « Nos États vivent sous le poids de la dette. Si on ne permet pas à nos pays de mettre de l’argent dans le social, nos revendications ici resteront un vœu pieux. Il faut annuler la dette ! » Petits paysans, maraîchères et « déguerpis » applaudissent.(...)