Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
le Monde Diplomatique
Quand le droit d’asile mobilisait au nom de la République
Article mis en ligne le 23 avril 2018

Durant les années 1930, dans un contexte de chômage grandissant, plusieurs lois sont votées en France pour limiter l’immigration et refouler les étrangers « indésirables ». Face à des partis politiques et une grande presse qui multiplient les campagnes xénophobes, des intellectuels prennent la plume. Ils défendent la tradition nationale du droit d’asile pour les milliers de réfugiés espagnols, italiens, etc., qui fuient la répression dans leur pays.

« Restaurons le droit d’asile ! » Cette exclamation combative apparaît, en 1935, dans un titre du Droit de vivre, l’hebdomadaire de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA, ancêtre de la Licra). Nous sommes en mai. Le décret du 6 février vient de limiter le droit de séjour d’un étranger au département où celui-ci a fait sa demande et à une durée de deux ans. Pierre-Étienne Flandin, de la droite libérale, est alors chef du gouvernement. L’exclamation présage une mobilisation qui trouvera toute sa vigueur trois ans plus tard, en 1938, après la chute du second gouvernement de Léon Blum.

Plusieurs intellectuels se rassemblent pour agir en faveur des étrangers. L’association des Amis des travailleurs étrangers est créée en août 1935, et son secrétariat général revient à la journaliste Magdeleine Paz, militante antiraciste et anticolonialiste d’envergure, également engagée à la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) et alors à la Ligue des droits de l’homme (LDH). Quelques mois plus tard, à l’initiative de l’avocat Henri Levin, l’un des responsables de la LICA, se constitue le Centre de liaison des comités pour le statut des immigrés, dont les Amis des travailleurs étrangers font partie. (...)

Ces mobilisations convergent lors de la conférence internationale pour le droit d’asile organisée à la mairie du 5e arrondissement de Paris en juin 1936. (...)

À la suite de cette conférence, une délégation du Centre de liaison des comités se rend au secrétariat général de la présidence du conseil, puis au ministère de l’intérieur, « dans le but d’attirer l’attention des membres du gouvernement de Front populaire sur le problème des étrangers et de leur remettre le texte des résolutions votées le 21 juin à la conférence internationale pour le droit d’asile (1) ».

« Qui appréciera que tel étranger est de mauvaise foi ? »
Le 10 avril 1938, le même Daladier devient président du conseil en s’alliant à la droite et entérine la fin du Front populaire. Le 2 mai, un décret-loi sur la police des étrangers est promulgué, suivi d’un nouveau texte le 14 mai : « À l’opinion désorientée, on jette en pâture les étrangers, bouc émissaire idéal pour conjurer l’orage qui menace (2). » (...)

Le rapport établit en outre une distinction entre « l’étranger de bonne foi » et « tout étranger qui se serait montré indigne de notre hospitalité », « l’étranger indésirable ». La dérive de la subjectivité devant la réalité brute de la condition d’exilé, de réfugié, de travailleur immigré se trouve gravée dans le marbre administratif.

« Qui appréciera que tel étranger est de mauvaise foi ? On peut se poser la question avec angoisse », s’alarme l’avocate Betty Brunschvicg dans le quotidien socialiste Le Populaire, en mai 1938. Le gouvernement Daladier trouve ainsi face à lui des intellectuels rompus à ces questions. Des personnalités qui, depuis le mitan de la décennie, n’ont pas cessé de dénoncer l’offensive contre les étrangers et de vilipender les attaques contre la tradition de terre d’asile de la France. (...)

« Un pays gris, méchant, hostile, un pays sans issue, sans air, sans ciel, sans horizon, sans chaleur, sans espoir ; un pays que nous ignorons, nous, les Français, et qui pourtant se trouve en France, en plein cœur de Paris. » C’est ainsi que la reportrice Magdeleine Paz décrit la préfecture de Paris et son cortège de réfugiés attendant en ses murs, en 1938, dans Le Populaire. Elle y publie une série de douze articles entre le 31 juillet et le 13 août, intitulée ironiquement « France, terre d’asile ». (...)

Déjà dénoncés depuis plusieurs années, les « expulsions » et les « refoulements » se multiplient en mai 1938. « Ce qui se passe en ce moment, sous le couvert de l’application d’un décret-loi, est tout simplement détestable. C’est la grande rafle », condamne alors Bernard Lecache. Trois mois auparavant, en février 1938, le mensuel Fraternité, « organe de liaison entre les travailleurs français et immigrés », avait publié un numéro intitulé « La France et les étrangers », dans lequel l’avocat Alexandre Zévaès écrivait : « Nous demandons, au contraire, avec énergie, nous voulons que soient refoulés, que soient chassés du territoire français, que soient mis dans l’impossibilité de nuire en France les agents stipendiés du fascisme international. » (...)

Magdeleine Paz clôt sa série « France, terre d’asile » par une lettre ouverte au ministre de l’intérieur Albert Sarraut : « C’est à vous que je parlerai, monsieur le ministre de l’intérieur, puisque votre signature figure au bas de l’acte réglementaire qui, pour une multitude d’hommes, représente l’arrêt du destin. » Et conclut : « Je fais partie de ces individus que rien au monde n’empêchera de porter une “aide directe ou indirecte” aux réfugiés et aux proscrits. Je suis de vieille souche française, monsieur le ministre, j’obéis à une tradition que j’ai reçue en naissant : si c’est être rebelle que d’offrir au proscrit une place au foyer d’asile, comptez-moi parmi les rebelles ! »