
Dès le moment où vous sortez de l’aéroport de Kaboul, la première chose qui vous frappe, ce sont les roses. Il y en a partout : le long de l’autoroute poussiéreuse menant à la ville, en grappes dans des parterres au milieu des ronds-points, fleurissant dans des jardins privés.
Vous remarquez ensuite la peur. Les étrangers se cachent derrière leurs murs renforcés de sacs de sable, derrière des fils de fer barbelés, des gardes armés et des véhicules blindés. Mais beaucoup d’Afghans sont également terrifiés, notamment ceux qui ont fui le pays mais qui ont dû y retourner récemment contre leur volonté.
Il y a toutes les raisons d’avoir peur. Le gouvernement fragile lutte pour affronter les talibans, qui sont probablement bien plus puissants aujourd’hui qu’à aucun autre moment depuis 2001. D’autres groupes armés d’opposition – notamment le groupe se faisant appeler État Islamique – ont pris le contrôle de certaines parties du pays et mènent des attaques dévastatrices jusque dans des zones sécurisées de Kaboul et ailleurs.
Les événements violents sont de plus en plus fréquents. D’après les Nations unies, 2016 a été l’année la plus meurtrière en termes de victimes civiles depuis le début des statistiques en 2009. Lorsque mes collègues d’Amnesty International et moi étions à Kaboul en mai 2017, une attaque a eu lieu contre une ONG suédoise dans la ville, et un employé allemand de l’organisation ainsi qu’un garde afghan ont été tués, et une Finlandaise a très probablement été enlevée. (...)
Et pourtant, les gouvernements occidentaux ont jugé que le pays était suffisamment sûr pour que les demandeurs d’asile afghans y retournent. Au cours des 15 dernières années, plusieurs pays européens (ainsi que l’Australie) ont signé des protocoles d’accord avec l’Afghanistan, dans lesquels le pays accepte de réadmettre ses citoyens sous certaines conditions. Les arrangements de ce genre ne sont pas forcément excessifs, mais leur mise en œuvre doit être conforme au droit international, qui interdit aux États de transférer des personnes s’il existe un risque de graves violations des droits humains.
Néanmoins, même si la situation en Afghanistan a clairement empiré, les gouvernements occidentaux ont accentué leurs efforts pour y renvoyer les Afghans qui ont fui la guerre et la persécution.
Lors d’une conférence sur l’aide humanitaire en octobre 2016, sous la pression de l’Union européenne, le gouvernement afghan a signé l’« Action conjointe pour le futur » avec l’UE. Ce document ouvre la voie au retour forcé d’un nombre illimité d’Afghans vivant en Europe. Un membre anonyme du gouvernement afghan a appelé cet accord une « coupe empoisonnée » que le pays était forcé d’accepter en échange d’une aide au développement.
Des centaines de personnes ont été renvoyées depuis que cet accord a été signé il y a six mois. (...)
Certaines personnes expulsées ont déjà subi des violences après avoir été renvoyées de force en Afghanistan. Un Afghan renvoyé d’Allemagne en janvier 2017 a été blessé lors d’un attentat suicide près de la Cour suprême à peine deux semaines plus tard, d’après des informations récentes d’Afghan Analysts Network. Plusieurs autres personnes – dont de jeunes enfants – ont été blessées dans des attaques de groupes armés à Kaboul, nous a dit un membre de l’organisation afghane de soutien et de conseil aux migrants.
Aucun d’entre eux n’aurait dû être renvoyé. Lorsqu’ils sont sortis de l’aéroport, le pays était pour beaucoup d’entre eux certainement aussi inconnu que pour moi – et les risques sont beaucoup plus importants pour eux. (...)