C’est l’histoire d’un mec qui doit se faire retirer la prostate.
Je ne sais pas grand chose de la prostate, si ce n’est que je n’en ai pas et que quand un homme doit se faire enlever la sienne, ça déclenche très rarement chez lui une euphorie sauvage. Autrement dit, je ne pense pas que l’ablation de la prostate soit du fait du patient, d’autant que cela touche à la virilité (ou tout au moins à l’idée qu’on s’en fait) et à l’incidence du temps qui passe sur celle-ci.
(...) Suite à une prescription du généraliste, parcours coordonné de soin oblige, celui-qui-avait-un-problème-de-prostate prit tout naturellement rendez-vous avec le service urologie le plus proche, c’est à dire celui de Mont-de-Marsan, à 45 minutes de chez lui, car rationalité des soins oblige, tout ce qui n’est pas ambulatoire a été concentré dans les hôpitaux départementaux. Bref, il fait le trajet, rencontre le chirurgien et l’anesthésiste sur place, subit les examens pré-op, se fait notifier son entrée en soin et la date d’intervention et revient au bled pour régler les derniers détails de sa succession autour d’un bon verre de cidre. (...)
Je ne pensais pas que l’ablation d’une prostate fusse une si grande affaire qu’il faille faire venir un chirurgien de la métropole régionale pour cela. Quand on nous avait vendu les regroupements médicaux départementaux, c’était en prêchant pour une montée en compétence des praticiens concentrés. Je m’étonne donc du fait qu’il n’y ait pas sur Mont de Marsan un seul chirurgien capable de retirer un vulgaire bout de viande, même si on admet que la prostate est un noble morceau. Mais notre ami ne s’est pas plus étonné que cela. La secrétaire lui a donc proposé non pas un report de l’intervention, mais tout simplement de reprendre rendez-vous avec le fameux médecin et être soigné directement dans la clinique bordelaise où il exerce.
Voilà donc celui-qui-devait-lourder-sa-prostate parti pour 2h30 de route pour… un nouvel examen pré-op. Le fait qu’il en ait déjà passé un 15 jours auparavant ne semble pas être entré en ligne de compte et voilà pour le trou de la Sécu dont on nous rabâche les oreilles et dont nous portons honteusement la responsabilité, nous, sales patients arrogants !
Il revoit l’anesthésiste qui n’a pas du apprendre grand chose de plus que lors de la précédente visite.
On peut admettre qu’il ne s’agissait pas du même. Je pensais naïvement qu’un anesthésiste avait suffisamment usé ses guêtres à l’école pour parvenir à déchiffrer le dossier pré-op rempli par un collègue. (...)
La visite se passe bien. Hop, hop, hop, feuille de soin et petits papiers avant d’enchaîner avec la visite pré-op du chirurgien. Et là, au milieu de la paperasse… LE CHOC !
Un petit papier de rien.
Une feuille toute simple ainsi intitulée : Prime de notoriété.
Montant : 300€.
Rapide coup de fil à la mutuelle qui ne prend pas en charge, manquerait plus que ça !
Il se serait s’agit de moi, déjà, je n’aurais pas été à Bordeaux pour une opération de base. J’aurais demandé des explications dès l’annulation de rendez-vous. J’aurais gueulé comme un putois et refusé de partir dans un autre établissement, éloigné, sans un surcroît d’explications sensées et rationnelles. (...)
Mais voilà, celui-qui-en-a-gros-sur-la-prostate a déjà fait un long chemin, a peut-être envie d’en finir rapidement, a assurément plus de moyens que moi et probablement plus de respect aussi pour un certain sens de la hiérarchie sociale protocolaire.
Il ne s’imagine pas un seul instant refuser ou décommander le gredin suivant. Parce que je ne surprendrai personne en annonçant que le chirurgien, qui doit être fort connu dans son pâté de maison, a aussi exigé sa prime de notoriété et qu’elle était de plus de 600€.
Et voilà comment celui-qui-aurait-mieux-fait-de-s’arracher-la-prostate-avec-les-dents s’est fait soulager de près de 1000€, comme ça, en à peine plus que le temps de l’écrire ici. (...)
L’insécurité sociale
Au-delà de la question de l’éthique médicale ou de la valeur réelle de l’acte d’un médecin, même de renom, cette histoire pose toujours la même question que pratiquement toutes les autres histoires de ce blog : celle du modèle de société que l’on nous impose, que l’on nous amène à trouver naturel.
Celui-qui-ne-doit-plus-avoir-de-prostate-à-l’heure-qu’il-est, en acceptant de payer cette sorte de dessous-de-table officiel, accepte implicitement la mise en place d’une médecine à plusieurs vitesse, où on en a pour son argent. Il y a ceux qui peuvent sortir 1000 € euros au débotté en une seule journée et les autres. (...)
Jusqu’à présent, qu’un chirurgien, par défaut, fasse bien son travail, me semblait être la moindre des choses.
On peut se dire que les choses changent, qu’il est normal que pour avoir mieux, on paie plus… Et s’il s’agit de la vie de ton môme, tu vas trouver ça normal aussi ? (...)
Nous savons tous que nous ferons n’importe quoi pour aider ceux que l’on aime face à la maladie. Et c’est ainsi que l’on découvre qu’il existe une étrange corrélation entre l’insécurité, la délinquance, la criminalité qui règnent dans un pays et le niveau de sa couverture sociale. Plus on abandonne une majorité de gens à la misère, à la précarité, à l’insécurité sanitaire, et plus la violence explose. Ce n’est pas moi qui l’invente. Je crois même qu’il existe une étude très sérieuse qui a précisément fait ce parallèle : plus d’inégalités, moins de soins engendrent plus de violence. (...)