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Le Monde Diplomatique
Premiers pas vers une « économie bleue »
Article mis en ligne le 16 novembre 2015
dernière modification le 9 novembre 2015

L’expérience montre que la protection des fonds marins profite aux économies locales, grâce notamment à l’écotourisme.

Face à la dégradation de l’écosystème des océans, qui recouvrent plus de 70 % de la surface de la planète, les aires marines protégées (AMP) représentent l’un des meilleurs outils d’équilibre et de résilience. Une AMP est une zone où s’appliquent un ensemble de mesures destinées à protéger, gérer et rétablir la santé des espaces maritimes. En d’autres termes, il s’agit de préserver la qualité et la diversité des écosystèmes, des habitats et des espèces, leurs fonctions essentielles, ou tout simplement la beauté du monde marin. Le concept d’AMP a été généralisé par la Convention sur la diversité biologique (CDB), signée à Rio de Janeiro en 1992 (lire « Cinq mille aires marines protégées dans le monde »). Les AMP séduisent de plus en plus de pays — en 2015, on en compte plus de 5 000 dans le monde —, car, lorsqu’elles sont efficacement administrées, elles se révèlent bénéfiques aux écosystèmes. Ainsi, celles où les activités extractives ont été interrompues permettent à l’océan de « respirer », ce qui donne parfois d’excellents résultats en matière de prolifération et de diversité de la vie sous-marine. De surcroît, ces zones fournissent de précieuses indications sur ce qui fonctionne en matière de protection des océans.

Les études scientifiques démontrant l’efficacité des AMP se multiplient. (...)

Par ailleurs, les AMP ont beaucoup profité à l’économie des communautés locales. Par exemple, sur la grande barrière de corail en Australie, le zonage aide à coordonner plusieurs actions en faveur de l’environnement. Les secteurs qui dépendent du corail, comme le tourisme et la pêche, représentent plus de 5 milliards de dollars et 70 000 emplois locaux. Une étude publiée cette année a montré que, si l’on étendait l’espace océanique protégé dans le monde pour qu’il représente 10 % à 30 % de l’ensemble, les coûts d’investissement se révéleraient parfaitement justifiés au regard des résultats finalement obtenus. (...)

Dès l’école, on apprend à évaluer les conséquences de ses actions en réalisant des expériences. On peut donc s’étonner que des pays qui n’ont pas encore d’AMP dignes de ce nom se réclament du « développement durable » (ou de l’« exploitation durable »), alors qu’ils ne disposent d’aucun étalon de mesure. L’absence de contrôle et d’analyse est d’autant plus regrettable que, au vu de leurs ressources quantifiables, les espaces marins représentent l’équivalent d’une septième puissance économique mondiale (4). Tout cela n’augure rien de bon quant à la gestion de ce potentiel et à sa valorisation.

Même sans aller au fond des choses, on mesure aisément que la situation ne fait qu’empirer. Le premier problème, qui est aussi le plus grave, tient au fait que les mesures correctrices, qu’il s’agisse des AMP ou d’autres mécanismes, ne suffiront pas à compenser l’action de l’homme sur les océans. On peut, çà et là, sauver une espèce de poisson de la surexploitation, mais les actions isolées ne permettront pas de rétablir la diversité des écosystèmes. (...)

« les récifs coralliens et les prairies sous-marines pourraient disparaître du globe d’ici à 2050 sous l’effet du changement climatique ».

Les prescriptions de la CDB pour 2020 n’ont permis de placer officiellement sous protection que 3,4 % de l’océan, et encore, sans parvenir à l’efficacité nécessaire. Ces objectifs internationaux ont été fixés il y a des décennies, à une époque où l’on ne se préoccupait pas des grands changements dont pâtit l’océan (...)

Par ailleurs, les espaces déjà couverts par le statut d’AMP doivent faire l’objet d’un suivi. Car le classement en AMP ne représente que la première étape du processus de leur préservation. Le véritable défi réside dans une gestion des AMP qui permette de remplir les objectifs fixés, notamment grâce à l’adoption de normes communes, à une coopération entre les pays et à la mise en place d’un système d’évaluation des progrès réalisés. C’est l’objet de la liste verte des aires protégées adoptée au Congrès de Sydney par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) (7). (...)

Mais l’établissement de normes pose aussi le problème de leur application. Grâce aux nouvelles technologies, on ne pourra bientôt plus prétexter la trop grande taille d’une AMP ou son éloignement, ou encore l’insuffisance de personnel. Il ne sera bientôt plus possible non plus de s’abriter derrière le manque de patrouilleurs, ni d’invoquer la dissimulation, par les pêcheurs — qui reçoivent souvent des subventions publiques indirectes — des données permettant leur localisation. L’existence de technologies d’observation à distance pour assurer l’application du droit signifie que, malgré l’immensité de l’océan, les activités illicites ne pourront pas éternellement échapper à tout contrôle. (...)

En parallèle, l’accord signé en juin 2015 entre le centre de recherches de The Pew Charitable Trusts et la start-up OneWeb prévoit l’utilisation d’un système satellitaire complémentaire de forme cubique pour connecter à Internet la moitié de la population mondiale qui ne l’est pas à ce jour. Maintenant qu’il n’est plus possible d’invoquer de vaines excuses, le temps est venu de mettre en œuvre la protection des aires marines conformément aux engagements pris à travers la CDB. D’ici quelques années, les gouvernements et les industries extractives devront rendre davantage de comptes. (...)

Plus localement, il existe toute une série de mesures territoriales en lien avec les AMP. Même si, au départ, elles ne visent pas cet objectif, elles contribuent à la préservation des océans. Regroupés sous le nom de « territoires des peuples autochtones et zones communautaires protégées » (Indigenous Peoples’ and Community Conserved Territories and Areas), ces dispositifs veillent à l’équilibre des écosystèmes marins et des ressources en poissons. (...)

Il faudrait par ailleurs accroître les échanges entre les spécialistes du changement climatique et ceux des aires marines protégées, tant au niveau des négociations internationales que sur le terrain. Les climatologues ont récemment découvert que les AMP permettaient de limiter localement les émissions de carbone contenu dans les écosystèmes côtiers comme les mangroves et les marais salants. (...)

Il est incroyable qu’en 2015 les discours tenus sur la gestion du carbone mentionnent, certes, les écosystèmes côtiers et le rôle que peuvent jouer les AMP, mais évoquent si peu la haute mer.

Au moment où nous évaluons les défis qui nous attendent, nous devons prendre en compte les connaissances acquises sur le changement climatique marin dans la conception du réseau d’AMP. Si nous ne tenons pas compte de la progression du réchauffement et de l’acidification des océans à l’échelle régionale, nous courons le risque de mal définir les AMP et les autres dispositifs d’envergure. (...)

D’une certaine manière, il n’a jamais été plus excitant de s’intéresser à la protection marine, dans la mesure où les changements en cours comme les accords que nous serons capables d’obtenir se révéleront cruciaux pour le bien-être des générations futures. Il n’est pas trop tard pour faire évoluer les mentalités et pour mener les opérations nécessaires, mais il faut agir maintenant.