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Le Monde
Pourquoi les corps masculins sont-ils invisibles ?
Article mis en ligne le 7 août 2018
dernière modification le 6 août 2018

L’été, les corps nus des hommes sont partout, mais personne ne les voit. A contrario, celui des femmes est toujours objet de commentaires même sous douze couches de vêtements, remarque Maïa Mazaurette, qui invite les hommes à réfléchir à leur propre érotisation.

(...) Les propos de Manny Koshka ont été relayés par d’autres femmes, qui ont rappelé preuve à l’appui que leur corps leur appartenait et qu’elles ont le droit de le montrer. La police des mœurs en question n’a pas tardé à réagir : « rhabille-toi », « t’es une pute », et autres noms d’oiseaux…

Mais pendant que Twitter s’écharpe, les hommes exhibent leur torse sur la plage, au sport, dans la rue, au supermarché, lors des festivals, et même sur les réseaux sociaux. Ils montrent leurs fesses en public, pour provoquer ou rigoler. Ils dessinent des pénis sur les murs des bars. Grâce aux hormones/au surpoids/à la gonflette, certains de ces hommes ont des seins. Tous possèdent des tétons. Ces rhabilleurs de femmes ne sont pas les derniers à envoyer des photos de leur sexe à des inconnues (un quart des hommes millenials ont déjà envoyé une dick pic, et plus de la moitié des femmes de cette génération en ont reçu, selon l’institut Yougov en 2017).

Corps masculins exhibés mais invisibles

Il y a donc un deux poids, deux mesures : nous sommes cernés de corps masculins exhibés et pourtant invisibles, tandis que celui des femmes est toujours visible, toujours objet de commentaires, même sous douze couches de vêtements (...)

A quoi est dû cet aveuglement sélectif ? La première raison tient de l’homophobie intériorisée. Nos codes contemporains considèrent la séduction comme appartenant aux femmes, par droit naturel.(...)

Ce jugement s’applique avec la même sévérité aux hommes qui cherchent à séduire des femmes avec leur corps. On se moque des « beaux gosses » adeptes de codes ultravirils (gros muscles, gros tatouages), car comme chacun sait, le vrai mâle se contente de séduire par son glorieux intellect. On appelle « frivolité » les savoirs traditionnellement féminins, pour bien délimiter le champ des connaissances légitimes. La parade amoureuse est un truc de gonzesse.

Ne pas se soumettre au désir féminin

Ce constant rappel à l’ordre porte ses fruits : les hommes font implicitement le choix de se soumettre aux codes du masculin plutôt qu’au désir féminin, quitte à perdre des opportunités sentimentales et sexuelles. Faute de moyens physiques de se mettre en valeur, certains finissent par justifier le harcèlement (il n’y aurait pas d’autre moyen d’attirer l’attention des femmes). Et faute de combattants et de transmission, les compétences esthétiques masculines restent limitées : les rues sont grises, les tenues ternes. On n’essaie même pas.(...)

Cette attitude repose sur une autre construction intellectuelle : l’idée que la partie serait perdue d’avance parce que les femmes sont le beau sexe, tandis que les hommes seraient laids et/ou hilarants (quoi de plus rigolo que de montrer son pénis ?). En conséquence de quoi toute séduction physique est inutile. Le French lover est mort, s’il a jamais existé en dehors de la littérature. Le corps masculin serait d’ailleurs si peu érotique que les femmes, pas folles, se ficheraient des apparences masculines. (...)

Cette désincarnation des hommes ne relève pas du simple problème théorique : il s’agit d’une négation quotidienne, rabâchée, harassante, du désir féminin, considéré comme « mystérieux ». Le mystère a bon dos ! Cette indifférence à soi-même se retourne en outre contre ses instigateurs. Elle est au moins partiellement responsable des crashs de libido : en l’absence d’autoérotisation des maris, amants, petits amis, rien ne vient remplacer la passion sexuelle des débuts lorsqu’elle s’essouffle. Or on ne peut pas demander les résultats du désir sans susciter le désir, de même qu’on ne peut pas réclamer plus d’interactions charnelles sans considérer sa propre chair. Ces corps uniformes produisent des lassitudes logiques, des cercles vicieux destructeurs (pourquoi s’embêter quand son conjoint ne fait aucun effort ?).

Comble du paradoxe, on a entendu pendant les hautes heures du mouvement #metoo les hommes se plaindre… de ne pas être assez érotisés : « moi, j’adorerais qu’on me harcèle » (à ceux qui ont prononcé ou pensé cette phrase : je vous garantis que non). Du coup, les paresses masculines seraient en fait la faute des femmes (aaaah). Franchement ? Non. (...)

C’est aux hommes de résister contre une forme de sexisme qui sabote leur confiance, leurs opportunités et leur libre individualité. Le moment est parfaitement choisi pour entamer cette révolution (...)