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Observatoire des Inégalités
Pourquoi le gouvernement renonce à réformer les impôts
Article mis en ligne le 25 janvier 2013

La réforme fiscale n’aura pas lieu. Essayer de comprendre le renoncement du gouvernement permet d’analyser les difficultés de la gauche à rendre l’impôt plus juste et plus efficace. Le point de vue de Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités.

« Je veux engager une grande réforme fiscale. La contribution de chacun sera rendue plus équitable par une grande réforme permettant la fusion à terme de l’impôt sur le revenu et de la CSG ». L’une des principales promesses des 60 engagements de François Hollande faite lors de la campagne présidentielle a fait long feu. La réforme fiscale n’aura pas lieu. On en restera à un patchwork de prélèvements portant sur les très riches (comme la taxation à 75 % d’une poignée de contribuables, qui sera éventuellement mise en place en 2014), une taxation des revenus financiers, des revenus des entreprises et une hausse de la taxe sur la valeur ajoutée pour financer la baisse du coût du travail. Pour le budget 2013, l’augmentation totale des impôts est de 15,6 milliards, ce qui laissera, au minimum, un déficit de 61,6 milliards… [1].

En réalité, le renoncement est double. D’une part, la gauche de gouvernement abandonne une réforme de l’impôt qui aurait permis de le rendre plus juste et plus efficace, notamment en fusionnant l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée [2]. D’autre part, elle renonce à élever les impôts pour assurer l’équilibre des finances publiques et répondre aux besoins sociaux (éducation, santé, sécurité, etc.).

Comment ce qui constitue un « changement dans le changement » a-t-il été possible ? (...)


trois éléments semblent avoir joué un rôle prédominant : l’évolution idéologique des années 1980, le rôle des sondeurs dans la construction des politiques publiques et une interprétation particulière des mécanismes économiques.

(...)

Sans l’afficher clairement, la gauche de gouvernement s’est convertie à la nécessaire réduction des prélèvements obligatoires : « une conception plus raisonnable des choses », selon François Mitterrand. Revenue au pouvoir en 1997, elle amorce en 2000 un important programme de réduction d’impôts. (...)

En 2001, le ministre des finances Laurent Fabius qualifie les défenseurs de l’impôt de "dépensolâtres". Ces éléments sont aux fondements du discours du parti socialiste au cours de l’été 2012 sur l’impérative nécessité de « préserver 90 % de la population des hausses d’impôts » et, partant, d’empêcher un véritable effort fiscal. Dans les faits, si « faire payer les riches » [5] est redevenu possible, il est devenu impensable pour la gauche de gouvernement d’envisager un effort fiscal largement partagé. (...)

La place des sondeurs

Cette évolution constitue moins une conversion qu’une stratégie à visée électorale, fondée sur la mesure de l’opinion publique et l’utilisation totalement démesurée des sondages. Si « l’opinion » veut moins d’impôts, il faut les diminuer. (...)

Les sondages sont devenus un pilier du formatage des politiques publiques. Peu importe leur inefficacité évidente en matière de popularité : les partis y croient dur comme fer. (...)

L’idée qu’un effort fiscal national aurait un profond effet récessif est largement dominante, à droite bien sûr, mais à gauche aussi. La hausse des impôts entraîne une baisse des dépenses des ménages, donc de la consommation, donc de l’activité, donc de l’emploi… et finalement des revenus, donc des recettes fiscales. "Trop d’impôt tue l’impôt" dit l’adage fiscal. Une variante de ce raisonnement met en scène la fuite du contribuable : il ne réduit pas ses dépenses mais il décide d’être imposé dans un autre pays ce qui revient au même : les prélèvements entraînent l’évasion, donc de moindres recettes (« l’effet Depardieu », voir encadré).

La situation est plus complexe que cela. Personne ne croît aujourd’hui à une reprise miraculeuse de la croissance. (...)

En terme d’inégalités, la politique actuelle est sans comparaison en matière de justice fiscale avec celle de la précédente majorité. Dès les premières semaines de 2007, un « paquet fiscal » de 15 milliards d’euros (réduction d’ISF, bouclier fiscal renforcé, exonération de charges des heures supplémentaires, etc.) de réduction d’impôts avait été décidé, au bénéfice pour l’essentiel des couches moyennes et aisées.

Mais aujourd’hui, c’est le contraste entre les promesses et les mesures prises qui est énorme. Paradoxe de l’histoire, la réalité économique rattrape le gouvernement qui s’est résolu à n’augmenter que partiellement les impôts, sans ligne politique claire, tout en affirmant à répétition que 90 % des contribuables seraient épargnés... [13]. Au lendemain de l’élection, un discours fort sur l’effort national partagé (justifiant la redistribution) aurait pu se substituer au "travailler plus pour gagner plus". A la place, il n’y a qu’un grand vide.
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