Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Charente Libre
"Pourquoi je veux quitter l’école" : le témoignage poignant d’une instit au bout du rouleau
Article mis en ligne le 27 octobre 2018

Elle a 31 ans, elle est enseignante en Charente depuis huit ans, essentiellement dans des classes composées d’enfants souffrant de troubles de l’apprentissage. Elle nous a adressé son témoignage, qui raconte son quotidien dans une classe spécialisée, où elle côtoie des élèves violents qui n’ont pas dix ans. Elle explique également pourquoi elle a l’intention de quitter l’Éducation Nationale La vague de témoignages et de dénonciations qui est née depuis quelques jours avec le #pasdevague l’encourage à parler à son tour.

(...) après presque 9 ans d’exercice (en primaire essentiellement), je sais que je ne veux surtout pas faire ce métier toute ma vie. (...)

à mon retour de congé maternité, il y a eu un incident avec un de mes élèves : très violent, il a frappé, mordu, insulté, craché sur plusieurs de mes collègues et moi-même. Comme il était grand et costaud, nous devions nous mettre à quatre pour l’immobiliser à terre. L’inspecteur a fini par réagir seulement lorsque nous lui avons montré les photos de nos bleus et des marques de morsures, et que nous avons évoqué la possibilité de diffuser ces infos vers une audience plus large. L’élève en question a été orienté vers une structure plus adaptée et plus à même de l’aider – clairement dans un cas comme celui-ci, le scolaire n’est pas le point essentiel, il y a un gros travail éducatif et psychologique à faire avant, et ce n’est pas en CLIS que nous pouvons y arriver.

Un élève ingérable
L’année suivante, un autre élève est revenu dans ma classe. Je l’avais eu lors de ma première année, et je l’aimais bien. Mais là, il avait grandi, il était plus proche de l’adolescence, il était passé par un foyer pour jeunes, et il est apparu très vite que ce n’était plus le même enfant. Au bout de quelques semaines, il m’a donné des coups de pied, insultée, craché dessus. Il terrorisait les autres élèves (et en était très content). Il est arrivé que nous fermions la porte à clé pour l’empêcher de rentrer dans la classe alors qu’il avait décidé de semer la terreur chez les enfants. Heureusement que mon AVS et moi étions soudées, et que le reste de mes collègues était vigilant et prêt à intervenir. Lors d’une réunion, il a été convenu que cet élève ne serait scolarisé que le matin. Mais au cours de cette même réunion, alors que j’évoquais la difficulté que j’avais à gérer la classe lorsqu’il était là, et le fait qu’il y avait les autres élèves à accompagner, que je ne pouvais pas utiliser tout mon temps et toute mon énergie pour lui, l’inspectrice m’a fait comprendre, en gros, que je n’en avais que 12 et que j’étais formée pour ça, donc que je ne devais pas me plaindre (je schématise, mais c’est l’idée).
Je précise qu’il n’y a pas de cours d’arts martiaux dans la formation que j’ai suivie, qu’à aucun moment on ne nous a expliqué quoi faire face aux insultes et aux crachats, et qu’en CLIS les élèves ont des troubles des apprentissages – pas comportementaux.
J’ai donc poursuivi l’année, la boule au ventre chaque matin lorsque je le voyais arriver, ne commençant à respirer que le midi lorsqu’il rentrait chez lui. Je redécouvrais ma classe et le plaisir de travailler avec mes élèves l’après-midi, et les élèves eux aussi étaient plus détendus et plus heureux lorsqu’il n’était pas là.

Menacée par un enfant de 7 ans
Il y a deux ans, c’est son petit frère qui est arrivé. Et qui semblait suivre le chemin de son grand frère, même s’il n’était pas encore violent. Provocateur, irrespectueux, perturbateur… Il regardait l’adulte (et en particulier la femme) avec mépris, il passait près de moi quotidiennement, plusieurs fois par jour, en me lançant « j’te tappe ! » avec un grand sourire, il m’a une fois tiré les cheveux… Il aurait eu les capacités d’être un très bon élève de CLIS, et aurait même pu suivre dans une classe ordinaire, mais le travail éducatif à faire avec lui était tellement important que le scolaire ne pouvait passer qu’après. Et en parallèle, un autre élève très difficile nous a été confié, dont la famille ne veut rien entendre quant à son comportement et ses difficultés sociales. Et bien sûr, ces deux élèves s’entendaient très bien.
L’année dernière, un troisième est arrivé, dans la même lignée : 7 ans, mais déjà très violent, il vous regardait dans les yeux et levait son poing, prêt à vous frapper, et avec un grand sourire qui vous défiait et vous disait « alors, qu’est-ce que tu vas faire ? ». Sauf que cette année-là j’étais à nouveau enceinte, et qu’entre cet enfant prêt à frapper et moi il y avait mon ventre, avec mon bébé à l’intérieur. Lors d’une équipe de suivi pour évoquer la situation de ce garçon, la psychologue scolaire et les autres partenaires ont bien entendu la détresse de la maman, à la maison. Des propositions lui ont été faites pour lui venir en aide, à la maison. Pour l’école, par contre… Si, on m’a conseillé de lui donner moins de devoirs, ou pas du tout, parce que c’est une charge supplémentaire pour lui, une fatigue en plus (ce que je peux comprendre), et qu’à la maison la maman n’a pas à subir la colère de son fils contre l’école (ou quelque chose comme ça). On ne m’a en revanche pas dit quoi faire lorsqu’il frappe un adulte ou un autre enfant…

Une inspection difficile
Lors de mon inspection en 2017, l’inspectrice n’a pas aimé ma manière de travailler (...)

Le fait que mes élèves progressent, que deux d’entre eux réintègrent un cursus ordinaire (chose quand même plutôt rare), que des parents me disent avec un grand sourire que leur enfant aime venir à l’école et adore la maîtresse (alors qu’à cause de son handicap il était auparavant en souffrance), n’est pas suffisant. Il faudrait que je rédige des projets, des documents, des plans, des programmes, etc. alors même que ça ne me serait pas utile. Cette inspectrice m’a demandé ça, alors qu’elle n’avait pas su me soutenir face à un élève qui m’avait traitée de sale pute et m’avait dit d’aller me faire enculer avant de me cracher dessus.

Une agression très violente
Il y a quelques mois, alors que mon congé maternité s’approchait de la fin, j’ai vu réapparaître cette boule au ventre, cette angoisse, cette oppression dès que je pensais à ma classe. Ce qui est dommage, c’est que la plupart de mes élèves sont adorables. Mais à cause de trois d’entre eux, je ne voulais pas y retourner.

J’avais envie de pleurer rien que d’y penser. Dès que je passais devant mon école j’avais l’impression de ne plus pouvoir respirer. Lorsque je suis allée présenter ma fille à mes collègues, j’ai dû m’obliger à y aller, à me garer devant, à passer la porte. Je n’avais pas envie de rentrer dans mon école, et encore moins d’y amener mon bébé.
En juin, soit deux mois après ma reprise, l’enfant de 7 ans (8 à ce moment-là) a « explosé » dans ma classe. Il y avait eu plusieurs crises auparavant, au cours desquelles nous devions nous mettre à deux pour l’emmener hors du groupe. Cette fois, il s’est mis à balancer ses affaires, à retourner sa table, à taper partout… Il m’a ensuite frappée avec une règle. A ce moment-là mon collègue et moi avons saisi chacun un bras, mais nous avons reçu de nombreux coups de pieds et griffures, dont je garde encore les marques plusieurs mois après. Puis l’élève m’a craché au visage à deux reprises. Mon réflexe de défense a été de le gifler. Je ne m’en suis pas cachée lorsque nous avons relaté l’incident à l’inspecteur et aux parents. Les parents ont compris, et l’inspecteur m’a conseillé de bien insister sur le fait que je ne fonctionnais pas comme ça d’habitude, que c’était un réflexe, etc. A la limite, j’aurais dû m’excuser. A quel moment a-t-on demandé à cet élève de s’excuser pour m’avoir craché dessus et frappée avec une règle ?

L’escalade
Cette année, et malgré le fait que l’un des trois élèves soit parti, nous étions arrivés à saturation à peine trois semaines après la rentrée. L’enfant de 8 ans, dès la première semaine, a fait de nouvelles crises. Mais il fallait attendre, que les aides demandées soient mises en place, que les réunions se fassent, que… Pendant ce temps, l’école se débrouille. Mes collègues ont la gentillesse de l’accueillir à certains moments dans la semaine. Il est déscolarisé à d’autres moments.

Mais cela ne suffit pas. (...)

De moins en moins de moyens
Nous faisons des écrits, des rapports. Mais pour que la machine administrative se mette en route, il faut attendre. Les psychologues scolaires sont complètement débordés. Un autre poste a été supprimé sur notre secteur. Dans notre école une classe a été fermée, et les collègues peinent à accompagner tous les élèves comme ils en auraient besoin. Certains de mes élèves ne devraient pas être dans ma classe. Ils devraient être orientés vers les IME ou les ITEP – sauf qu’il n’y a pas assez de places, et qu’on en ferme encore. Du coup ces élèves restent chez moi, et ceux que je pourrais accueillir doivent rester en classes ordinaires. Tout le monde souffre, élèves et enseignants.

Car, soyons clairs, les enfants qui agissent comme cet élève violent sont en souffrance. Ils ne sont pas accompagnés comme ils en auraient besoin. Ils sont mal dans leur peau, ils ne se sentent pas à leur place, même dans une classe spécialisée comme la mienne. Mais sous prétexte d’inclure le handicap et de faire des économies, on détruit des structures (IME, ITEP, etc.) essentielles au développement de certains enfants. Et de fil en aiguille, cela met en péril la scolarisation de tous les élèves, même dans les classes ordinaires.

Des collègues débordés et sans soutien
Mon mari me dit que, plutôt que de quitter l’Éducation Nationale, je pourrais changer de poste, retourner dans les classes ordinaires ou en maternelle. Mais je n’en ai pas envie non plus. Mon dégoût de l’enseignement ne concerne pas seulement ma classe spécialisée.

Je les vois, mes collègues d’ordinaire, avec 25 ou 30 gamins par classe, à gérer du multi-niveaux, des élèves difficiles, des parents compliqués, des dossiers, des projets, des demandes de la hiérarchie qui ne fait rien pour les soutenir, des évaluations à n’en plus finir, des livrets, des réunions inutiles, des pseudo-formations qui font juste perdre du temps, des animations pédagogiques tellement éloignées de la réalité des classes, des programmes de plus en plus lourds, alors que les élèves ont de plus en plus de difficultés, des parcours et des éducations à… à mettre en place par-dessus, des réformes tous les 3 ans imposées par des personnes qui n’ont jamais mis les pieds dans les classes d’aujourd’hui, mais présentent la chose comme révolutionnaire et permettant de régler tous les maux de l’Éducation Nationale (ont-ils seulement consulté les premiers concernés ?…

J’admire ceux qui gardent la foi, qui croient en l’avenir de l’Education Nationale. Quelque part, j’ai l’impression de déserter le front, de laisser les autres patauger seuls et faire ce qu’ils peuvent pour les générations futures, d’abandonner mes collègues et ces élèves que je pourrais aider. Je trouve aussi regrettable d’avoir laissé s’échapper ma motivation, je culpabilise pour tous ces enfants que je ne pourrai pas aider, parce que le système éducatif tel qu’il est ne m’en donne pas les moyens.

Je suis frustrée, de ne pas avoir réussi à aider ces élèves si difficiles, mais si mal dans leur peau. J’ai un sentiment d’échec et de lâcheté. Après tout, je suis bien contente que des enseignants fassent classe à mes propres enfants. Même si je me demande de plus en plus si je ne devrais pas chercher une alternative. Ai-je envie qu’elles suivent un système éducatif dans lequel moi-même je n’ai plus confiance ? Ai-je envie qu’elles soient confrontées à des élèves comme les miens ?
Mais je vis ma vie pour moi, aussi. C’est de ma santé mentale et physique qu’il s’agit. Je ne suis pas une sainte, ni une martyre, je ne recevrai pas de médaille pour mon sacrifice. Je ne veux pas continuer à assister au sabordage de l’École, et encore moins de risquer de sombrer avec elle. (....)