
Les signaux de détresse lancés par notre planète sont à s’en crever les tympans. Les côtes s’érodent à cause de la montée des eaux. Les océans s’acidifient. Les émissions de gaz à effet de serre dérèglent le climat. (...)
La liste des S.O.S. est encore longue et réclame une ouïe très fine pour entendre celui des zones sauvages, dont la surface se réduit comme peau de chagrin.
Entre 1993 et 2009, 3,3 millions de kilomètres carrés - soit la surface de l’Inde - ont perdu leur caractère sauvage, selon une étude publiée l’année dernière dans la revue scientifique « Nature » par des chercheurs de l’université du Queensland (Australie). Les espaces sauvages ne représentent plus que 23 % de la surface terrestre (hors Antarctique). C’était 85 %, il y a un siècle. En cause : l’étalement urbain, la déforestation, l’exploitation agricole et les premiers effets du réchauffement climatique. (...)
Les conséquences sont dévastatrices pour la faune et la flore. Des scientifiques estiment qu’une sixième extinction massive des espèces animales et végétales est en cours. Selon François Sarrazin, professeur en écologie de la conservation à Sorbonne-université, « la pression exercée par l’humain sur les habitats, notamment des animaux, est la principale cause de perte de biodiversité dans le monde ». Pour résoudre cette crise de la biodiversité, certains défenseurs de l’environnement rêvent alors de « réensauvager » le monde.
Réintroduction d’animaux
Le « réensauvagement » réside dans la réintroduction de grands mammifères disparus ou menacés, comme l’ours ou le bison. Avec leur retour dans la nature, un nouvel écosystème plus riche et plus résilient pourrait se reconstituer.
Le « rewilding », comme l’appellent les Anglo-Saxons, « a émergé ces vingt dernières années comme un nouveau paradigme de la conservation de la nature », explique un spécialiste dans un documentaire diffusé sur Arte mi-2019, consacré au sujet. Tout aurait démarré en Amérique du Nord, dans les années 1990, chez les partisans de l’écologie profonde. Ce n’est peut-être pas un hasard si les Etats-Unis sont devenus le cas le plus emblématique avec la réintroduction du loup gris dans le parc national de Yellowstone en 1995. (...)
Depuis, l’idée a fait son chemin. (...)
En Europe, où très peu de parcelles ont échappé à la main de l’homme, le réensauvagement gagne aussi du terrain. Mais à pas de loup. « Le Vieux Continent a une vision très ’jardinée’ de son environnement, explique l’écologue François Sarrazin. Les mentalités évoluent doucement et le ’rewilding’ n’est plus un horizon inatteignable. »
L’ONG Rewilding Europe, fondée en 2011 aux Pays-Bas, est l’une des plus à la pointe. Elle soutient huit projets pilotes de réensauvagement ou de conservation des espèces. (...)
En France, les réintroductions d’animaux sont plus délicates. Elles suscitent bien souvent l’opposition farouche du monde pastoral qui dénonce les attaques de brebis par l’ours et le loup. Mais le sujet avance sous l’impulsion, là encore, de la société civile. L’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas)vient de signer pour 2,35 millions d’euros l’acquisition d’un ancien terrain de chasse privé à Léoncel, dans la Drôme. Cette zone de 490 hectares sera intégralement rendue à la nature. C’est l’autre facette du réensavaugement, qui consiste à libérer des espaces autrefois pilotés par l’humain, pour y laisser la faune et flore évoluer librement. (...)
« Quand on soustrait toutes les activités humaines dérangeantes, comme la chasse, l’exploitation forestière et l’agriculture, les animaux reviennent », apprécie Madlin Rubin, directrice de l’association. Seules les promenades y sont autorisées pour ne pas mettre la nature sous cloche. Moins de 1 % du territoire bénéficie de ce niveau de protection en France, garant du caractère vraiment sauvage. Une goutte d’eau.
Réchauffement climatique
Mais les gouttes d’eau se revèlent parfois bien utiles, en particulier pour contrer les effets du réchauffement climatique. Avec la hausse des températures, les feux de forêt se multiplient sur la planète. Une étude publiée en octobre 2018 par des chercheurs de l’université de Tasmanie (Australie) observe que le déclin récent des grands herbivores pourrait amplifier ce phénomène.
Faut-il les réintroduire ? Le Portugal s’y est mis. (...)
D’autres scientifiques, comme le révèle un article publié dans « L’Obs » il y a un an, imaginent la réimplantation de plus grands herbivores, comme l’éléphant et l’hippopotame. Dans le Grand Nord, élans et bisons permettraient de lutter contre le dégel des territoires arctiques. En broutant la végétation, ils empêcheraient les sols de monter en température et de libérer le méthane qu’ils contiennent, un puissant gaz à effet de serre. « Nous menons une guerre contre la nature, a l’habitude de dire l’astrophysicien Hubert Reeves. Si nous la gagnons, nous sommes perdus. » Et si elle gagne, sommes-nous sauvés ? (...)