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fondation Jean-Jaurès
Pour une véritable hybridation générationnelle
/Gabrielle Halpern Docteur en philosophie, chercheur associée et diplômée de l’École normale supérieure, spécialiste de l’hybridation
Article mis en ligne le 25 février 2022
dernière modification le 24 février 2022

Les maisons de retraite doivent devenir des maisons de « jubilation ». C’est la proposition pleine d’espoir de Gabrielle Halpern qui, à l’aune de la crise dans les Ehpad, suggère d’en faire des lieux aux usages multiples.

Savez-vous comment on dit « retraite » en espagnol ? « Jubilacion » ! Un mot dont l’étymologie latine nous indique qu’il s’agit d’un « chant d’allégresse ». Rien à voir, donc, avec notre terme français de « retraite », que la féroce étymologie latine associe à l’action de « retirer ». Une langue est toujours également une vision du monde… Mais comment pouvons-nous accepter que ce soit ce terme qui exprime notre vision du rôle et de la place d’une part croissante de notre population ? Cette idée de retrait est terrible ; l’expression de « maison de retraite » est tellement effroyable qu’il est fou que nous ayons eu l’idée de les nommer ainsi. Le sigle impersonnel et froid « Ehpad » n’arrange pas les choses. Pourquoi « retirer » ces générations de notre société ? Pourquoi parlons-nous toute la journée d’inclusion, de mixité sociale – alors que très souvent, malheureusement, ce qui est fait en ce sens relève plutôt de la « juxtaposition sociale », c’est-à-dire que les individus coexistent, mais ne se rencontrent pas – et avons-nous tant de mal à embrasser les personnes âgées dans notre société ? Quand prendrons-nous enfin au sérieux le grand défi de l’hybridation générationnelle1 ?

On entend parler toute la journée de la transition écologique et de la transition numérique, alors qu’une transition avance à grands pas dans notre angle mort : la transition démographique, avec le vieillissement de la population. En 2060, un tiers de la population française aura plus de soixante ans.
C’est une véritable révolution qui nous attend et, pourtant, personne n’en parle. (...)

Il faudrait pourtant se demander ce que pourrait être une entreprise intergénérationnelle… Et une société intergénérationnelle ? L’aménagement urbain, les services publics, les produits, l’immobilier, le travail, les loisirs, les mobilités ou encore les usages : tout doit être repensé, tout doit être réinventé, parce que la transition démographique4 va fortement bouleverser notre société.

Or, on nous parle en termes de « génération », de « grand âge », de « seniors » ; il y a « les anciens », il y a « les jeunes ». Cela donne l’illusion que, finalement, il y a les uns d’un côté et les autres d’un autre côté. (...)

. À force de catégoriser les populations, les décideurs publics et privés créent des fractures entre les générations et conduisent à une société en silos. Arrêtons avec les cases ! Il est troublant, lorsque l’on relit le discours à la jeunesse de Jean Jaurès, de constater qu’il lui adresse des mots que l’on croirait destinés à tous, y compris à la vieillesse. N’est-ce pas paradoxal ? Non, et si cela était perçu comme tel, ce serait terriblement triste ! Jaurès va du particulier au général, du singulier à l’universel, de l’identité à l’altérité et il est peut-être là le vrai rôle du politique. Nous avons besoin d’une politique publique hybride, non pas destinée au « grand âge » seulement, mais à l’hybridation générationnelle. (...)

Dans un rapport publié en mai 2021, le Défenseur des droits a alerté sur « le respect des droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad » : liberté d’aller et de venir, prise en compte du consentement, droit au maintien des liens familiaux, respect de la dignité, manque de moyens et de personnel… La Covid-19 a mis un véritable coup de projecteur sur les maisons de retraite, qui étaient jusqu’à présent un angle mort de notre société. Mais cette terrible situation n’a pas commencé par la crise sanitaire, puisque ce sont plus de 900 réclamations dénonçant les conditions et les modalités d’accompagnement médicosocial qui ont été adressées au Défenseur des droits ces six dernières années5. Cette question n’intéresse pas seulement les décideurs publics et privés, elle ne devrait pas non plus être la seule préoccupation des personnes âgées (...)

Si l’expression « maison de retraite » signifie que l’on retire ces personnes du monde, il est urgent de repenser ces établissements pour remettre leurs résidents au cœur du monde. Nous avons l’impression que la maison de retraite est posée là, comme un îlot au milieu de l’océan sans aucun lien avec le quartier. Si vous habitez à côté de l’une d’entre elles et que vous n’avez pas un membre de votre famille qui y réside, pourquoi y aller ? Et si les maisons de retraite étaient aussi des incubateurs de startups, des restaurants6, des crèches, des musées et des salles de sport, cela aboutirait-il vraiment à une confusion des choses ? Il faut faire des maisons de retraite des lieux ouverts sur le quartier, sur la ville, où toutes les générations se rencontrent et font des activités ensemble. (...)

Pour que les personnes âgées n’aient plus à se retirer du monde, nous allons devoir innover pour qu’elles restent, pour qu’elles reviennent, pour qu’elles se métamorphosent et qu’elles nous aident nous aussi à nous métamorphoser. Et ces maisons de retraite se transformeront en « maisons de jubilation » ! L’hybridation générationnelle n’est pas seulement un droit, elle devrait être un devoir humain fondamental !