
Ce n’est pas un hasard si les plus proches riverains de l’usine Lubrizol, partie en fumée toxique fin septembre 2019 à Rouen, étaient les habitant·es de « l’aire d’accueil des gens du voyage » de Petit-Quevilly. Partout en France, les lieux « d’accueil » attribués aux personnes relevant de cette catégorie administrative se trouvent à l’extérieur des villes, loin de tout service (hormis les cimetières), ou dans des zones industrielles à proximité de diverses sources de nuisances : déchèteries, usines chimiques, stations d’épuration des eaux usées, échangeurs d’autoroute, etc.
Constatant l’absence de chiffres opposables aux pouvoirs publics sur l’isolement de ces zones et leur rôle dans les inégalités environnementales, le chercheur indépendant et voyageur William Acker a décidé de les recenser, département par département. Cette démarche s’inscrit dans la continuité d’un travail de plusieurs mois, accompagné des chercheur·es Lise Foisneau et Valentin Merlin, auprès des habitant·es de Petit-Quevilly. Il présente ici son approche cartographique, avec l’inventaire des zones « d’accueil » d’un premier département, les Yvelines (78). (...)
Après les spoliations de la guerre, une majorité des collectifs catégorisés « nomades » se trouvent dans la plus grande misère, la loi change en 1969, on se pare du juridique pour effacer l’ethnique. Les « nomades » deviennent des « gens du voyage », les « carnets anthropométriques » deviennent des « carnets » ou « livrets de circulation ». Plusieurs types de livrets existent, et permettent de distinguer les simples « itinérants » des anciennement « nomades ». Le fichage ethnique continu avec un pointage régulier au commissariat, un contrôle de la circulation et du stationnement.
Dans les années 1970 les premiers « plans de sédentarisation » voient le jour (...)
En 2000 la Loi Besson II [7] organise ce qui est aujourd’hui l’un des plus grand système d’encampement d’Europe, par l’obligation de construction « d’aire d’accueil des gens du voyage » [8].
La loi Besson II prévoit un « équilibre entre les droits et devoirs des parties ». En somme les communes de plus de 5 000 habitants doivent se pourvoir d’une « aire », les personnes catégorisées « gens du voyage » doivent quant à elles y vivre. Le législateur prévoit en 2000 d’autres critères justifiant l’obligation de stationnement (donc de vie) sur une « aire d’accueil ».
Trois axes sont mis en avant : l’accès à l’éducation, l’inclusion professionnelle et l’accès à la santé. Pourtant cette logique juridique qui a première vue semble équilibrée est bien différente dans son application. (...)
S’il faut attribuer à Michel Agier cette notion d’« encampement » [10], les géographes ont d’autres rôles à jouer. Notamment celui de démontrer le caractère systémique du contrôle et de l’exclusion dans le choix des localisations des « aires d’accueil » en France.
C’est ce que je tenterai de faire, non pas en tant que géographe, mais comme simple juriste anciennement catégorisé par le droit administratif de « gens du voyage ». (...)
En 2012 la loi de 1969 est en partie invalidée par le Conseil constitutionnel et les « livrets de circulation » deviennent illégaux [11]. Les personnes catégorisées « gens du voyage » n’ont plus à faire face au critère de domiciliation qui par exemple, les empêchait jusque là d’avoir accès au droit de vote. Mais dans les faits, l’appellation « gens du voyage » n’a pas disparue, et d’autres lois sont venues remplacer ces mesures discriminatoires.
La localisation des aires d’accueil est donc un enjeu politique. Lorsque l’on a vécu sur ces aires [12], une partie ou toute sa vie, on sait que la majorité de ces lieux est située près des déchèteries, des stations d’épuration, d’usines chimiques, d’autoroutes, de voies de chemin de fer, dans des lieux isolés du tissu urbain et pollués. Lorsque l’on a vécu sur ces « aires », on a expérimenté l’enfermement sur ces lieux, on a expérimenté l’isolement, l’impossibilité de se rendre à pied nulle part, la surveillance des « médiateurs » (appelés « gardiens » par les « voyageurs »), les perquisitions à répétition facilitées par l’absence de statut de « zone d’habitation », le pré-paiement de l’eau et de l’électricité à un tarif souvent prohibitif, le paiement de loyer bien trop élevés en comparaison de l’offre de confort, l’impossibilité d’accès aux aides au logement… On a expérimenté la surveillance vidéo 24h/24, le dialogue avec les « gardiens » qui se fait parfois à travers les barreaux de son guichet, les sociétés de gestion privées qui se comportent trop souvent comme des gardiens de camps.
Bref, la France n’accueille que rarement ses « gens du voyage ». La France garde ses « gens du voyage ».
Régulièrement je ferai donc le point département par département des situations « d’accueil ». Aucune étude globale de ce type n’a encore été achevée. Il n’existe pas de chiffres opposables aux pouvoirs publics sur l’isolement des « aires d’accueil » ou leur rôle dans les inégalités environnementales sur l’ensemble du territoire français.
Aujourd’hui après 10 départements étudiés et près de 230 aires d’accueil recensées, il m’est déjà possible d’affirmer que sur cet échantillon, plus de 90 % de ces dernières sont isolées du tissu urbain, plus de 70 % subissent un environnement dégradé et que seules 3 % d’entre elles ne sont ni isolées, ni polluées. (...)