
Trois élus ou militants associatifs engagés dans la vie publique de la Métropole de Lyon, Anne Grosperrin, Florestan Groult et Lucien Angeletti, fixent les contours de la véritable refondation du service public de l’eau qu’ils appellent de leurs vœux.
« Nous ne pouvons vivre plus de trois jours sans eau ». Cette réalité traduit un besoin vital mais également un droit fondamental. Or, ce droit d’accès au bien commun, aujourd’hui, est loin d’être satisfait. En France, plus d’un million de ménages éprouvent des difficultés à payer leurs factures d’eau, trop élevées relativement à leurs faibles moyens. S’y ajoutent les « non abonnés », les « exclus » relégués à la porte du service public : des centaines de milliers de personnes privées d’accès à un réseau d’eau, à des toilettes et à des douches parfois même lorsqu’elles occupent un domicile. Citons encore les Outre-Mer, notamment La Réunion et la Guadeloupe, où l’approvisionnement n’est pas assuré.
Comment alors construire et garantir de manière durable ce droit à l’eau ?
I- Reconnaitre et définir le droit à l’eau
1. L’ONU, dans sa résolution du 28 juillet 2010, le reconnait comme « un droit fondamental essentiel au plein exercice du droit à la vie », sans toutefois le définir formellement. En France, la loi stipule que « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Il y a bien un droit, mais sa définition reste largement imprécise sur les usages qui lui sont liés et implique une « solvabilité ». Les récents travaux de l’union européenne, dans le cadre de la révision de la directive cadre eau potable, rencontrent les mêmes limites. A l’initiative, rappelons-le, d’une mobilisation citoyenne sans précédent (pétition de 1,6 millions de signataires), elle avance certes sur les aspects de la qualité, de l’hygiène, et du droit des précaires mais demeure nettement insuffisante dans les ambitions et la formulation du droit. (...)
Le Service Public, porteur de l’intérêt général, doit en assurer la maitrise et en être le garant.
II- Garantir le droit à l’eau : les conditions nécessaires
1. Le retour à un mode de gestion publique du bien commun de l’eau est indispensable. Il refuse la logique de profit effréné qui après la marchandisation des années 80-90, accélère désormais vers la financiarisation de la ressource. (...)
La gestion publique rejette la confiscation de connaissances par le privé et défend la maîtrise technique publique afin de ne pas perdre la souveraineté de la communauté à décider librement de la gestion de l’eau au service de toutes et tous. (...)
Comment rendre effective cette intention gagnée de haute lutte ? Le statut d’un mode de gestion publique, est un prérequis, mais il ne suffit pas.
2. Le fil conducteur c’est la réponse aux besoins sociaux, environnementaux, démocratiques. Des critères de gestion alternatifs impératifs et d’appréciation du service doivent être élaborés, avec les usagers, leurs associations, pour un service à haute valeur ajoutée en faveur du commun et de l’intérêt général et non plus de la logique du taux de profit maximum. (...)
Cela suppose une gestion démocratique qui traverse la vie de l’institution et l’ouverture vers les citoyens par l’implication des usagers, premiers concernés. Mais cet impératif de « décolonisation » de l’esprit libéral n’est pas la seule condition de cette refondation.
3. Au cœur de l’enjeu de leur accessibilité, se pose en effet la question du financement des services publics d’eau potable. Le principe aujourd’hui à l’œuvre, est de les faire financer quasi exclusivement par la redevance de l’usager. Le coût du service est ainsi couvert par un prix, facturé au « service rendu », à hauteur de sa consommation individuelle. La satisfaction de ce besoin essentiel reste donc reléguée à « un prix acceptable ». L’approche la plus souvent avancée revient alors à garantir cette solvabilité. En premier lieu, par la possibilité, reconnue et usitée, d’une aide curative au paiement des impayés par le biais du fonds de solidarité logement. En second lieu par la possibilité, introduite plus récemment par la loi Brottes, d’expérimenter des tarifications sociales sous la forme cette fois d’une aide préventive. Mais cela ne suffit pas. Ces approches, comme projet social, offrent juste aux usagers de mieux « vivre leur pauvreté » ! On est loin du droit universel garanti, sans distinction de revenu.
Une tarification issue d’un barème qui distingue les usages de l’eau ouvre des perspectives (...)
Cette différenciation des usages de l’eau apparait comme incontournable. C’est à ce titre que la gratuité des premiers m3 essentiels à la vie s’invite dans le débat public comme un levier de progrès social et un changement culturel dans la gestion du bien commun. (...)
III- Refonder le service public de l’eau
1. Le statut d’Établissement Public Industriel et Commercial, s’impose au service public de l’eau potable. Ce dernier intègre des principes directeurs intéressants (égalité d’accès et de traitement, mutabilité, accessibilité, neutralité et continuité), mais également des contraintes fortes en matière budgétaire et comptable. (...)
Il est temps de réaffirmer le Service Public dans son essence première : exercer des missions d’intérêt général, rendre effectif les droits fondamentaux. Il faut « refonder plutôt que réformer ». De nombreuses voies sont possibles.
2. Cela implique pour le service d’élargir sa compétence et sa responsabilité aux usagers « non connectés » au réseau car aujourd’hui la compétence actuelle du service public de l’eau est restreinte à la fourniture de l’eau « au robinet ». (...)
Bien sûr, il conviendrait d’augmenter le taux du budget aujourd’hui mobilisable pour les aides à caractère social, de manière à ce que le service puisse disposer des moyens nécessaires à sa mission. On peut simplement postuler que le service public de l’eau puisse intégrer dans ses charges l’ensemble des dépenses nécessaires à l’effectivité du droit à l’eau pour les personnes « exclues du réseau ».
Une ouverture ?
C’est une question philosophique, politique et juridique. Tout service public se trouve à la merci des fondamentalistes du marché. Nous serions tous gagnants à revendiquer, pour nos biens communs et services vitaux, la création d’institutions collectives soustraites à la concurrence, au dumping social et gérées par les usagers-salariés. Pourquoi pas en dépassant le statut d’EPIC vers un nouveau type de statut de Service Public. Un statut qui, sans nier la dimension industrielle du service, l’installerait ainsi définitivement comme l’instrument d’accès à un droit.