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Mediapart
Pour son second mandat, Macron promet l’austérité
Article mis en ligne le 12 avril 2021

Le programme de stabilité qui sera envoyé à Bruxelles la semaine prochaine prévoit une compression de la dépense publique et l’inscription de cette compression dans la Constitution. Le signe d’une radicalisation du macronisme.

Mine de rien, et dans une indifférence assez marquée, Emmanuel Macron vient d’annoncer un des éléments les plus importants de son programme pour 2022. Certes, cela n’a pas pris la forme d’un meeting ou d’un document de campagne, mais le programme de stabilité que le gouvernement va envoyer la semaine prochaine à Bruxelles donne clairement le ton. Et ce ton est clair : c’est celui de l’austérité.

Dans ce document, révélé par Les Échos du 9 avril, le gouvernement envisage ainsi de faire revenir le déficit public sous les 3 % du produit intérieur brut (PIB) en 2027, soit à la fin du prochain quinquennat. Ce sera donc l’objectif d’un éventuel second mandat de l’actuel président.

Rappelons que, en raison de la pandémie, ce déficit s’est établi à 9,2 % du PIB en 2020 et devrait se situer à un niveau proche en 2021, compte tenu des dépenses encore engagées pour la deuxième et la troisième vague. L’effort sera donc considérable, même si les mesures de soutien devraient disparaître dans l’hypothèse (encore incertaine) d’un apaisement de la pandémie.

Reste à savoir comment se répartirait cet effort. Jusqu’ici, le discours du ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, était que « la dette serait remboursée par la croissance ». En théorie, ce discours pouvait justifier des réformes structurelles désastreuses pour les inégalités et le monde du travail pour doper la croissance dans une perspective néo-schumpétérienne visant à favoriser la mobilité et l’innovation. Mais ce discours devait aussi écarter l’option d’un ajustement par les dépenses publiques. Or, le programme de stabilité français écarte clairement cette option. (...)

la perte de PIB va rester importante et la croissance ne permettra pas de « payer la dette », pour reprendre les mots dénués de sens de Bruno Le Maire (l’État fait rouler en permanence sa dette). (...)

Alors, comment réduire le déficit sans vraie dynamique de croissance ? La sagesse keynésienne voudrait que, précisément, on oublie le déficit pour pouvoir le réduire. Si la croissance est faible, il faudrait donc que l’État intervienne pour renforcer la demande, accélérer la croissance et, ainsi, augmenter les recettes fiscales. C’est ce que l’on appelle le multiplicateur budgétaire. Un euro dépensé par l’État doit lui rapporter davantage et, in fine, son déficit ainsi se réduit.

C’est la position que défendent même les néokeynésiens, les plus modérés, pour l’époque actuelle. Certains d’entre eux, comme Olivier Blanchard, avaient en 2017 soutenu Emmanuel Macron. Mais ce n’est pas le choix de l’exécutif pour le prochain quinquennat.

Une autre option pourrait être d’augmenter la progressivité de l’impôt. Ceci permettrait de réduire le poids de la fiscalité sur les plus pauvres et à l’augmenter sur les plus riches. Comme les moins fortunés ont une tendance à utiliser davantage l’argent qu’on met à leur disposition pour consommer, cette politique permet de doper la croissance en ayant des revenus plus importants. Clairement, ce choix n’est pas non plus celui du gouvernement. (...)

La politique fondamentalement de classe de l’exécutif l’empêche d’utiliser le levier fiscal.

Reste donc, et c’est le cœur de ce programme de stabilité, l’ajustement par les dépenses publiques. Et c’est la voie clairement choisie. (...)

Il faut donc être clair : le programme du gouvernement vise à institutionnaliser l’austérité et à prendre comme exemple de l’ensemble du budget de l’État, la gestion de l’assurance-maladie. Il est piquant de constater que la seule leçon que les locataires de Bercy ont retenue de la crise sanitaire a été qu’il fallait appliquer à l’État dans son ensemble le régime qu’on a appliqué depuis dix ans à la santé…

Dans ce contexte, une réforme des retraites visant à réduire rapidement les dépenses semble inévitable, ainsi que la poursuite de l’austérité salariale pour les fonctionnaires, la réduction du nombre des agents et les économies dans le système de santé. Il n’est donc pas surprenant avec une telle politique que la croissance ne reparte pas. On pourrait même s’étonner qu’elle ne fût pas plus basse encore. Car avec une norme de dépense fixée sur le PIB, il y a bien le risque d’un cercle désastreux où la norme affaiblit la croissance et où l’on baisse encore la norme en conséquence pour respecter ses « objectifs ». (...)

En réalité, ce plan ne fait sens que dans une logique déconnectée des réalités et des défis du moment. Il n’existe, en effet, aucune raison de réduire aussi rapidement le déficit alors que les taux sont bas et que, précisément, le problème des banques centrales est celui d’un affaiblissement structurel et durable de la croissance. Si les taux sont bas, c’est pour que les emprunts de l’État croissent afin de relancer la machine sans avoir de risques liés à cette dette.

Mieux même, si l’utilisation de l’épargne accumulée pendant la crise est le déterminant de la reprise, comme le prétend Bruno Le Maire, envoyer alors un message d’austérité est contre-productif et incite plutôt à accumuler une épargne de précaution qu’à la dépenser.

Mais l’exécutif refuse d’entendre ces arguments, tout comme Bruxelles, au reste, puisque ce programme de stabilité lui est destiné. Pour eux, la baisse du déficit crée la confiance par la magie de la fameuse « neutralité ricardienne », une thèse néoclassique dont la réalité n’a jamais été démontrée et qui veut que toute dépense publique provoque une réduction des dépenses privées.

La position du gouvernement est donc celle dominante d’il y a dix ans, la fameuse « austérité expansive » qui a conduit Grèce, Espagne et Portugal dans le mur. Elle est idéologique et repose surtout sur la préservation des intérêts de classe : les plus riches et les détenteurs de capitaux sont protégés.

Cette position était centrale en 2010, mais, dans le débat économique actuel, elle est clairement très à droite. C’est une position ultraconservatrice défendue par les économistes néoclassiques ou « autrichiens ». (...)

Il n’en reste pas moins que, politiquement, le pari est osé. Alors même que la France est encore dans la crise du Covid et qu’il existe un risque évident de faillites et de hausse du chômage. Il ne peut s’expliquer que par deux hypothèses.

La première serait que l’austérité fait désormais consensus dans l’opinion française, que ce récit s’est imposé à la majorité comme une évidence. La seconde serait que l’enjeu de cette présidentielle est de convaincre les électeurs de la droite classique, partisans de cette austérité, de se rallier à Emmanuel Macron. Rien ne dit que l’une de ces deux hypothèses soit vraie.