
Le 27 octobre 2005, Zyed Benna et Bouna Traoré mouraient électrocutés à Clichy-sous-Bois, drame qui déclenchera une révolte des quartiers populaires. Né sous le choc de cet événement, le Bondy Blog, dont Mediapart est partenaire, fête cette semaine ses quinze ans avec un livre aux éditions Fayard. En voici la préface, hommage à une belle aventure humaine et professionnelle.
Aux derniers jours d’octobre 2005, j’ai eu honte de ma profession. C’est alors que le surgissement du Bondy Blog a sauvé l’honneur du métier.
Venant de quitter le journal où j’avais travaillé durant un quart de siècle, j’étais d’autant plus en rage que je me sentais impuissant, journaliste soudain désarmé parce que privé de tribune. J’assistais silencieusement à cette défaite : des médias qui, pour la plupart, gobaient les mensonges du pouvoir et qui épousaient sa guerre déclarée à la société. (...)
À croire qu’ils n’avaient jamais traversé le périphérique parisien de leur vie, des reporters se faisaient escorter en banlieue par des « fixeurs » comme s’ils étaient en Irak ou en Afghanistan, sur un théâtre de guerre. Quant aux éditorialistes, ils relayaient déjà l’antienne sur des hordes de barbares montés à l’assaut d’une civilisation dont ces commentateurs se croyaient les seuls dépositaires (...)
Spontanément soulevée face à l’injuste sort, le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois, de Zyed et Bouna, morts électrocutés en fuyant, avec leur ami Muhittin, des policiers qui les poursuivait sans motif valable, toute une jeunesse fut d’emblée caricaturée en nouvelle classe dangereuse. Sa révolte était pourtant logique face au mépris des gouvernants, notamment le ministre de l’intérieur qui deviendra en 2007 président de la République, Nicolas Sarkozy. Pompiers incendiaires, ajoutant le mensonge du mépris à l’injustice de la tragédie, ces politiciens firent alors un choix dont ils ne se départirent plus et qui, hélas, inspire encore certains de leurs successeurs : faire diversion, désigner des boucs émissaires, agiter les peurs, monter une partie de la population contre une autre, diviser plutôt que rassembler. Le tout pour ne pas avoir à rendre compte des injustices sociales, des inégalités territoriales, des discriminations racistes, des humiliations incessantes qui relèguent les classes populaires aux marges de la République.
Aussi destructrices furent-elles dans l’instant, les émeutes de 2005 étaient, à l’inverse, un appel à construire, un désir d’espoir, une demande d’égalité, une exigence de dignité. Une envie d’être enfin admis au banquet républicain, d’y avoir toute sa place au nom de la promesse originelle d’égalité des droits, sans distinction de condition, d’origine, de culture, d’apparence, de croyance, de sexe… Comme leurs glorieux prédécesseurs des révoltes populaires de 1830, 1848 et 1871, ces soulèvements spontanés, improvisés et désordonnés, traçaient ce chemin des causes communes où, à l’horizon, se dessine la promesse d’une République démocratique et sociale. Loin de faire sécession, ils exigeaient d’en être vraiment, pleinement et entièrement. (...)
Au départ création éphémère, sous le choc de l’événement, le Bondy Blog a donc survécu, et ce livre-anniversaire témoigne de la richesse de son travail durant ces quinze années. Toute une jeunesse a ainsi fait vivre une tribune populaire, hors des sentiers battus et des carcans partisans. (...)
La longévité du Bondy Blog est une conquête collective, qui plaide pour l’autonomie des résistances, y compris dans le domaine de l’information (...)
Loin de faire sécession, l’aventure du Bondy Blog a inclus, intégré et rassemblé, dans le respect des identités, des diversités et des pluralités. Et c’est pourquoi elle n’a pas seulement sauvé l’honneur du journalisme mais aussi honoré la France, telle qu’elle est, telle qu’elle vit, telle qu’elle s’invente.