
Avec près de 200 000 enfants envoyés à l’adoption à l’étranger, la Corée du Sud détient un record mondial qui contraste avec son statut de puissance économique. Dans le pays qui a en grande partie forgé le système d’adoption international, des adoptés s’organisent pour demander aux autorités de faire la lumière sur un passé violent.
Séoul (Corée du Sud).– « Le mot-clé pour nous c’est : enquêter », affirme Boonyoung Han, l’une des créatrices du Groupe des droits des Dano-Coréens. Avec Peter Moller, lui aussi adopté au Danemark, elle souhaite que le gouvernement sud-coréen offre des réponses aux violences, erreurs et mensonges qui émaillent l’histoire de l’adoption internationale depuis la Corée du Sud.
Depuis août, ils ont déposé près de 400 dossiers auprès de la Commission pour la vérité et la réconciliation, organisme gouvernemental chargé d’enquêter sur les abus de la période coloniale et de la dictature (1910-1993). Et le 8 décembre, l’initiative danoise a récolté ses premiers résultats. 34 dossiers seront étudiés par la commission, qui va devoir enquêter afin d’établir d’éventuelles erreurs et violations des droits de l’homme dans les processus d’adoption. Un moyen de pousser les autorités sud-coréennes à révéler des informations sur un passé très opaque. Car la plupart des 200 000 adoptions depuis la Corée du Sud ont eu lieu lorsque le pays était sous la coupe de dirigeants autoritaires. Les pratiques de l’époque semblent bien loin de l’image de démocratie moderne que le pays souhaite promouvoir. (...)
« 500 enfants par mois »
« Dans les années 1980, entre 5 000 et 9 000 enfants quittaient le pays tous les ans. Soit environ 500 par mois, des dizaines par jour, rappelle Lee Kyung-eun, chercheuse en droit international et militante au sein de l’Association du droit à connaître ses origines. Est-ce que vous pensez réellement que des dizaines d’enfants étaient retrouvés chaque jour dans la rue ? Est-ce que de telles choses peuvent se passer dans un pays normal ? », interroge-t-elle. (...)
Des témoignages d’adopté·es et des recherches universitaires laissent penser que le terme « abandonné » était utilisé en grande partie par convenance, car cela ouvrait la porte à la possibilité d’une adoption, et permettait de présenter un dossier en apparence sûr. (...)
Une autre catégorie de demande d’enquête déposée à la commission concerne des personnes adoptées dont les dossiers médicaux ne faisaient pas mention de graves blessures, de cicatrices ou de maladies. « Ma mère biologique m’a expliqué que j’étais très malade à ma naissance, car j’étais diagnostiquée avec la syphilis. Mais rien n’était inscrit sur mon dossier d’adoption, ni en Belgique ni en Corée du Sud, témoigne Yung Fierens. Lorsque je l’ai appris longtemps après, j’étais absolument dévastée. Et cela aurait pu avoir des conséquences dramatiques. »
Elle a rejoint l’initiative danoise qui s’est étendue à cinq autres pays. « Une démarche historique », pour la militante, qui souligne que « c’est la première fois que des adoptés internationaux mettent en place des actions juridiques dans les pays d’origine ».
Pays unique
Ce mouvement s’inscrit dans une tendance globale de questionnement des mécanismes de l’adoption. Fin septembre, l’ONU a appelé à mettre fin aux adoptions illicites, affirmant même qu’elles pouvaient, dans certains cas, constituer des « crimes contre l’humanité ».
Mais la Corée du Sud reste un pays à part. 200 000 enfants ont été envoyés à l’adoption depuis la fin de la guerre de Corée. Et la majorité d’entre eux, nés dans les années 1970 ou 1980, sont désormais en âge et en position de demander des comptes. Et puis le pays était perçu de manière assez positive, jouissant de la réputation de pays sûr, où les dossiers semblaient sérieux et complets.
Il existe donc aujourd’hui de nombreux documents, ce qui permet de prouver les abus et les erreurs de l’époque. Enfin, le pays a également permis aux adopté·es d’obtenir un visa de résident·e, ce qui a contribué à briser la barrière de la langue pour beaucoup, revenu·es vivre dans leur pays de naissance. (...)
sous Chun Doo-hwan (1980-1988), l’objectif était de nettoyer les rues, de supprimer la pauvreté apparente de la société.
Pour cela, des centres d’internement baptisés « Centres de bien-être » ont été mis en place et accueillaient notamment des mineur·es. Nombre d’enquêtes ont mis en évidence des cas de kidnapping, de torture, d’esclavage et parfois de meurtre au sein de ces organisations qui opéraient sous l’égide de l’État. Certaines de ces structures fournissaient également des enfants pour l’adoption internationale. « De très nombreux scandales ont révélé que les autorités sud-coréennes travaillaient main dans la main avec les agences d’adoption », dit Joohee Bourgain. (...)
Aucun dossier français
« Je n’en veux pas à une personne ou à une entité en particulier. La Holt, le gouvernement, la société sud-coréenne : c’était un système qui écrasait la mère et où l’enfant n’avait pas de droits », résume Élisabeth Landgraf. Elle fait partie des adopté·es victimes de violences sexuelles, durant ou avant le processus d’adoption.
C’est un autre pan des dossiers déposés par le groupe danois devant la commission le 15 novembre 2022. « J’ai été violée par un directeur au sein de mon orphelinat. J’ai très peu de souvenirs de cela, comme de mes années en Corée du Sud », raconte Élisabeth. Un traumatisme qui a longtemps effacé les souvenirs des dix premières années de sa vie, ainsi que de la langue coréenne. (...)
En annonçant début décembre sa décision de lancer une enquête sur l’adoption internationale dans le pays, la commission a ouvert une porte vers le passé sulfureux de l’État sud-coréen. D’ici quelques mois, les conclusions de l’enquête pourraient contraindre la société sud-coréenne à un examen encore plus profond. D’autant que les éléments apportés par la commission pourraient aider les adopté·es dans une éventuelle plainte contre l’État ou les agences d’adoption. En attendant, chaque année, des enfants sud-coréens sont adoptés à l’étranger.