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Pour la planète, faire moins d’enfants ?
Article mis en ligne le 29 juin 2022

Nous serons bientôt 8 milliards d’humains sur Terre. Et ce nombre ne fera qu’augmenter. Toujours plus d’humains à nourrir, chauffer, déplacer... La planète, elle, est déjà à bout de force. Faut-il faire moins d’enfants ? Enquête [1/4]

Douze ans. C’est le temps qu’il a fallu à l’humanité pour ajouter 1 milliard d’individus sur la planète. Alors qu’elle passait la barre des 7 milliards en 2011, l’espèce humaine comptera bientôt 8 milliards de congénères [1].

La progression reste conséquente, alors que la fécondité mondiale baisse : elle flirtait avec les 2,5 enfants par femme en 2019, d’après les dernières prospectives du Bureau des populations de l’Organisation des Nations unies (ONU). Le taux était de 5 en 1950, et de 3,2 en 1990. D’après l’ONU, il va continuer à baisser pour atteindre le fameux 2,1 enfants par femme, taux auquel le remplacement des générations est assuré. « La population décélère, mais cela ne se traduit pas par un arrêt de la croissance, précise Gilles Pison, de l’Institut national d’études démographiques (Ined). La population mondiale compte encore un grand nombre d’adultes en âge d’avoir des enfants. Et même si nous étions à 1,6 enfant par personne comme en Chine ou en Europe, la croissance démographique ne s’arrêterait pas pour autant. » (...)

Avec un taux de progression de 1,12 % par an, la barque humaine s’alourdit de 86 à 90 millions d’individus chaque année. (...)

8 milliards de vies à nourrir, loger, habiller, chauffer...

Partout, les femmes enfantent moins. Le phénomène s’universalise. Dans toutes les cultures, sur tous les continents, le modèle de la famille à deux enfants gagne du terrain. Mais cette progression se ferait « toutes choses égales par ailleurs ». Gardons en tête que les évaluations onusiennes sont révisées tous les deux ans et qu’elles sont sujettes à caution [3] : le moindre paramètre de l’équation peut tout changer. (...)

Par ailleurs, parler de population humaine comme d’un « cheptel » global, c’est mettre tous les reliefs au même niveau, la fosse des Mariannes à égalité avec l’Annapurna. Idiot, car ce qui est vrai en Europe ne l’est pas aux antipodes. La natalité des pays les moins développés progresse six fois plus vite que celle des pays développés. (...)

La moitié des 2 milliards d’enfants à naître d’ici à 2050 proviendra de neuf pays : Inde, Nigeria, Pakistan, République démocratique du Congo, Éthiopie, Tanzanie, Indonésie, Égypte et États-Unis. Dans cinq ans, l’Inde deviendra le pays le plus peuplé du monde. Bref, chaque pays, chaque zone géographique est spécifique. (...)

8, 9, 10, 11 milliards... cela n’aurait pas d’importance si nous ne vivions pas sur un système fini, isolé dans la froideur de l’espace. Que cela progresse vite ou non, peu importe : dans quelques mois, nous serons 8 milliards. 8 milliards de vies à nourrir, loger, habiller, déplacer, chauffer, éduquer, soigner ou faire rêver ; quels que soient l’âge, le niveau de vie, la situation conjugale, géographique, cultuelle, etc. Or, nous voilà face à un dilemme : constante ou non, notre population doit réduire son impact ; qu’il s’agisse des émissions de CO2, des blessures infligées à la biodiversité, prélèvements dans les gisements de ressources (minières, halieutiques, etc.) et des usages de l’eau.

Sans compter qu’homo-pas-si-sapiens se pense seul, alors que 10 millions d’autres espèces ont aussi droit à des habitats et à des ressources pour survivre, vivre et se reproduire (...)

Une planète déjà à bout

Le Terre n’est pas une table à rallonge. Or nos émissions de CO2 ne cessent de croître, déstabilisant un système complexe de régulation air-océans-sols. (...)

Et puis pour remplir nos assiettes, des chercheurs se sont demandé dans la revue Lancet si l’on pouvait nourrir une population de 10 milliards d’individus avec un régime sain, le tout dans les limites de la planète. La réponse est oui, mais pas avec nos régimes actuels. (...)

Quand nous excédons les possibilités terrestres, nous atteignons « le jour du dépassement ».

Et celui-ci arrive de plus en plus tôt dans l’année (...)

Dans son livre Drawdown — Comment inverser le cours du réchauffement planétaire, Paul Hawken dresse la liste des 80 mesures à prendre pour réduire nos émissions de CO2 de 80 %. L’éducation des filles et le planning familial figurent en 6e et 7e positions [4]. Éduquer toutes les petites filles du monde — présentes et à venir — pour éviter la naissance de 2 milliards d’humains d’ici à 2050, c’est 85,42 Gt de CO2 en moins entre 2020 et 2050. Hawken s’est même amusé à mesurer les avantages économiques du planning familial sur les renouvelables : 7 euros investis dans du planning familial peuvent éviter l’émission de 1 tonne de CO2. Bien moins cher que l’investissement dans l’éolien (24 euros environ) ou le solaire (51 euros).

La faute aux pays riches ? (...)

À population égale, comment comparer le mode de vie des habitants du Laos et de la Finlande ? Du Japon vieillissant et de l’Éthiopie explosive ?

L’humain doit subvenir à des besoins vitaux (...)

Dans certaines parties du monde, l’heure n’est ni à la sobriété et encore moins à la perpétuation de la pauvreté. En Chine, la classe moyenne va atteindre près de 600 millions de consommateurs en 2030. Or, la classe moyenne mange plus de viande, achète plus de voitures et voyage plus souvent. De son côté, le continent africain ne compte que pour 4 % des émissions de CO2 et près de la moitié de sa population n’a pas accès à l’électricité. A-t-il vocation à rester pauvre ?

Viser les 2 tonnes de CO2 par personne et par an fait office de gageure dans les pays développés. D’autant que le consommateur occidental, tant décrié, n’a pas la souveraineté de ses choix. (...)

L’ironie de la chose, notait de son côté l’écologiste Murray Bookchin, « c’est que la plupart des gens ordinaires et leurs familles ne peuvent se permettre de vivre simplement. Se passer de voiture, c’est renoncer à un emploi, à un magasin, à la nourriture, aux aires de loisirs, aux dîners chez les amis, etc. ». On pourrait alors cibler les ultra-riches et leur gloutonnerie mortifère, mais leur effet sur l’environnement, selon Angus et Butler, « n’est pas d’abord et avant tout le résultat de leur cupidité individuelle, mais découle du fait qu’ils possèdent et contrôlent les organisations et institutions dont les activités écocides excèdent de beaucoup celles de n’importe quel individu ou groupe d’individus ». (...)

Plus on est riche, plus on consomme de ressources, et pour avoir tous accès au même niveau de vie, nous devrions être moins nombreux. À l’inverse, plus on est pauvre, plus la Terre peut subvenir aux besoins d’un plus grand nombre d’humains. « Il faut faire les deux, dit Alistair Currie, de l’association Population Matters. Il est évident que, parmi les plus riches, nous avons besoin de changer nos habitudes de consommation. D’un autre côté, des centaines de millions de personnes ont le droit absolu de consommer plus puisqu’elles sortent de la pauvreté. Mais ajouter des consommateurs supplémentaires ne fait qu’exacerber le problème, c’est un axe vital. Il ne faut pas opposer consommation et population. » Ce discours est dans la droite ligne de ce que Paul Ehrlich disait la fin des années 1960.

Et si au nombre, nous ajoutions le temps et l’argent... En 2010, l’espérance de vie moyenne a dépassé 70 ans et le PIB moyen d’un Terrien se situe autour des 10 000 dollars par an (avec des variations allant de 700 à 120 000 dollars selon les pays). Si nous sommes collectivement nombreux, riches et sur Terre plus longtemps, ça risque de mal se passer.