
Cet article ouvre l’édition participative "Européennes : des élections sous surveillance", un observatoire des mots, des discours, des manipulations de la campagne pour les élections européennes 2019. L’édition est animée par un groupe de chercheurs et étudiants universitaires ayant un seul objectif : intervenir rapidement pour assainir le débat sur l’Europe.
Depuis que la discussion publique s’est déplacée en grande partie sur les réseaux sociaux, entre bulles de filtrage, anonymat, fake-news, haters, trollers, partisanerie des communautés web, mépris généralisé de la vérité, et quelques formes résiduelles de langue de bois, nous ne faisons qu’approfondir de plus en plus dramatiquement les failles traditionnelles du débat public.
Le résultat de cet état de fait est que nous risquons de nous priver de l’instrument le plus précieux de l’arsenal démocratique : la possibilité de décider de notre avenir en tirant profit de l’intelligence collective. Et nous ne pouvons pas nous le permettre.
Prenons, par exemple, le débat sur l’Europe qui fera l’objet dans les semaines à venir de notre stricte « surveillance ». Discuter Europe n’est pas une option de ces temps et en discuter convenablement est une nécessité. C’est, en effet, seulement au niveau européen que nous pourrons affronter toute une série de questions cruciales de notre époque : la crise écologique, la crise économique, la crise démocratique, la crise migratoire, la crise du travail, la crise identitaire, la résurgence des nationalismes, les nouvelles luttes de classe, la reconfiguration des équilibres géopolitiques globaux.
Pouvons-nous discuter de ces dossiers aussi vitaux dans le chaos qui règne dans le débat public (et qui a semblé caractériser également le débat d’ouverture de la campagne du 4 avril ) ? Pouvons-nous vraiment nous permettre de réduire ce débat à la polarisation entre souverainistes et pro-européens ? En nous positionnant pour ou contre la sortie de l’Europe (ou entre les deux), avons-nous vraiment épuisé la question de comment nous allons affronter et survivre à ces temps troubles dans les décennies à venir ?
Il est clair que la discussion est bien plus complexe, qu’elle demande des solutions réfléchies et articulées et qu’elle exige que ces solutions ne soient pas discutées uniquement entre think-tanks, politiciens et parties prenantes, mais qu’au contraire elles découlent de la prise en compte des points de vue multiples et différents de la totalité des citoyens européens.
Est-ce que les citoyens européens ont la possibilité d’exprimer leurs points de vue ? Non. Ils peuvent voter, s’organiser, agir, mais quand il est question de participer au débat public les moyens dont ils disposent et les espaces auxquels ils ont accès sont tout à fait insuffisants.
Il est clair désormais que le web 2.0 et les réseaux sociaux qui avaient été salués à l’époque de leur avènement comme des technologies porteuses d’un espoir de démocratisation radicale de l’espace public ont trahi leur promesse. La nature commerciale, technologique et sociologique de ces plateformes ne permet pas de contenir l’impact disruptif que la révolution numérique a sur notre participation au débat public. Par ailleurs la plupart des citoyens manque d’une éducation linguistique adéquate à affronter les changements radicaux qui ont bouleversé ces derniers temps notre rapport à la parole.
Avec cette édition nous nous proposons essentiellement de fournir quelques instruments pour pallier à la seconde de ces deux difficultés. (...)
Nous mettrons nos instruments techniques et théoriques au service d’une observation du débat public sur les européennes de 2019. Notre objectif est de montrer comment reconnaître, déjouer et ne pas reproduire la pléthore de manipulations volontaires ou involontaires qui polluent le débat public sur l’Europe en le rendant de facto un lieu peu fréquentable.
Nous observerons les métaphores qui s’imposent dans le débat, les catégories qui se créent, les mots qui sont employés (ou évités) ainsi que tout genre de manipulation qui empêche au débat d’avancer de manière efficace, inclusive et productive.
Nous surveillerons les discours des politiques, des médias mais aussi – et nous y tenons tout particulièrement – les discours des citoyens qui discutent sur les réseaux sociaux. Nous sommes convaincus en effet que le débat public est un bien commun et que, par conséquent, s’en occuper n’est pas seulement la responsabilité des professionnels de la parole, mais c’est la responsabilité de nous tous.