
Perquisition à Mediapart : les points clés d’un jugement crucial pour la liberté d’informer-20220706&M_BT=167753986353]
Plus de trois ans après des révélations dans l’affaire Macron-Benalla, le tribunal judiciaire de Nanterre a, mercredi 6 juillet, condamné l’État pour avoir essayé de porter atteinte au secret des sources de Mediapart à l’occasion d’une tentative de perquisition, conduite par le parquet de Paris et la brigade criminelle de la police dans les locaux de la rédaction. Cette perquisition n’avait « aucune base légale prouvée », d’après le jugement du tribunal de Nanterre que nous publions en intégralité.
À la suite de la publication, le 31 janvier 2019, d’enregistrements mettant lourdement en cause Alexandre Benalla, ancien conseiller du président de la République Emmanuel Macron, le parquet de Paris avait ouvert dès le 2 février 2019 une enquête préliminaire des chefs d’« atteinte à l’intimité de la vie privée » et de « détention illicite d’appareils ou de dispositifs techniques permettant l’interception de télécommunications ou conversations ». (...)
Dans son jugement, le tribunal considère que cette tentative de perquisition, « grave en elle-même pour tout organe de presse », « ne tendait pas à la seule obtention des enregistrements », mais aussi « à la vérification de leur authenticité et des modalités de leur captation, investigations qui impliquaient nécessairement un accès au support et à ses éventuelles métadonnées qui sont de nature à permettre, directement ou non, l’identification de la source ».
Les juges rappellent le cadre procédural choisi par le parquet pour mener sa perquisition : une atteinte à l’intimité de la vie privée d’Alexandre Benalla et de son acolyte Vincent Crase, soit les deux personnes enregistrées dans les bandes diffusées par Mediapart. « Ainsi, sont en balance des intérêts privés et, à travers la protection de ses sources, la liberté d’expression exercée par la société Mediapart pour traiter un débat d’intérêt général d’importance », rappelle le tribunal.
Or, ce dernier estime que l’importance des révélations de Mediapart, grâce à leur « contribution à un débat d’intérêt général touchant à la vie politique du pays », aurait dû avoir pour conséquence que « l’intérêt privé [de Benalla et Crase] devait céder devant la protection des sources ».
La perquisition « constituait donc une ingérence dans la liberté d’expression exercée par la société Mediapart, d’autant plus sérieuse qu’un risque d’atteinte au secret des sources ne peut se concevoir que dans des circonstances exceptionnelles », développe le tribunal. (...)
Le tribunal ajoute qu’ « il ne peut être considéré comme normal et prévisible pour la société Mediapart de s’exposer au risque d’une perquisition à l’occasion d’une divulgation de données sensibles et de devoir y renoncer pour le prévenir ».
C’est pourquoi la menace portée sur l’identification des sources de Mediapart « implique par elle-même l’existence d’un préjudice anormal, spécial et grave », selon les juges. Ce préjudice est d’autant plus « spécial » pour Mediapart que l’agent judiciaire de l’État n’a pas contesté devant le tribunal que, depuis l’adoption de la loi du 4 janvier 2010 sur la protection des sources des journalistes, aucune perquisition n’avait jusqu’ici été conduite dans les locaux d’un journal français.
Les juges soulignent également dans leur décision la « spécificité » de Mediapart, « qui tient à l’importance de la révélation de faits susceptibles de devenir ce qu’il est convenu d’appeler des affaires politiques dans son modèle économique ». Cette pratique du journalisme expose notre rédaction à « plus de mesures coercitives que d’autres médias ne pratiquant pas ou peu l’investigation ». Ce qui nécessite donc une protection accrue. (...)