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Pendant ce temps, sur la Zad : « Agir nous-mêmes pour changer le monde
Article mis en ligne le 22 octobre 2017

Sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, on ne parle pas politique, on fait la politique : au quotidien, dans les actes communs. Tout en observant ce qui se passe sur la scène officielle. Avec une conviction : il faut agir plutôt que déléguer.

(...) Rien que le week-end dernier, un Festnoz célébrait la fin de la construction d’un hangar tout de bois et d’ardoises flambant neuf, et la manif’ du Premier mai faisait danser ensemble les opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et les syndicats de salariés de l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique.
« Ce qui change ici, c’est la façon de discuter des élections : il y a moins de fatalisme. On sait qu’ici on peut reprendre notre vie en main sans attendre la prochaine échéance électorale », avance Louise (pseudonyme, comme tous les prénoms de cet article). Chacun y va tout de même de sa théorie, de son ressenti. Certains reconnaissent qu’ils auraient été tentés de voter pour Jean-Luc Mélenchon, ou Philippe Poutou. D’autres avouent leur trouille que Marine Le Pen passe. Tellement qu’ils auraient peut-être été capables de mettre un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne. A l’inverse, il y en a qui auraient peut-être donné une voix à Marine Le Pen, afin de précipiter l’effondrement du système et un « sursaut social ». « Mais c’est jouer avec le feu », admet l’un d’entre eux. Il paraît même qu’il y en a qui votent, assurent-ils tous à Reporterre. On a cherché, on n’a pas trouvé. La Zad semble surtout peuplée de ceux que l’on appelle les « abstentionnistes ». (...)

Impossible, quand on vit dans ce territoire arraché à l’autorité de l’État, où l’on tente de repenser la politique et les rapports sociaux de façon horizontale, d’attendre quoi que ce soit de cette institution qu’est le vote. « Voter, c’est comme accepter d’être dépossédés de nos vies, adhérer à un système qui nous exploite, explique Paul. À l’échelle de la France, un gouvernement ne peut être proche du terrain. Il a forcément une approche technicienne des problèmes, alors que les solutions sont philosophiques, existentielles, affectives. Il y a une idée anarchiste qui dit que celui qui donne sa voix n’a plus rien à dire. »
Inciter les gens à mettre un bulletin dans l’urne, cela pourrait même être dangereux. « Voter pour des gens qui ne font rien pour toi, cela nourrit le désespoir », estime Pierrot, qui observe la montée du FN. « Et pour paraphraser un film de mon enfance [L’Histoire sans fin, NDLR] : les gens qui ont perdu l’espoir sont faciles à soumettre », ajoute-t-il.
Alors, voter ou ne pas voter ? Cela n’a pas tant d’importance que cela, finalement. « Ce n’est pas là que se trouve le champ politique », estime Camille. (...)

Sur le Zad, le mot abstentionniste semble perdre son sens, tellement la politique imprègne chaque geste du quotidien. Les zadistes seraient plutôt « des activistes, car nous faisons sans cesse de l’action directe », corrige Paul. « Le vote ou les pétitions, c’est demander aux politiciens de faire quelque chose pour nous, c’est de l’action indirecte. Alors que l’action directe, c’est agir par nous-même pour changer le monde. » Quelques exemples : bloquer une route, faucher des OGM, participer aux chantiers collectifs de la Zad, ou repartir d’un supermarché les caddys pleins sans payer après avoir bloqué les caisses. « Il faut assumer un certain degré de conflictualité et d’illégalité, or nous recevons une éducation qui nous pousse à éviter, pacifier les conflits. Le pas n’est pas toujours facile à franchir », poursuit-il. (...)

Un nouveau grand projet sur la Zad a pris forme à l’hiver, avec le nom de processus « Abracadabois ». Camille détaille : « On a entre 300 et 400 hectares de haies, forêts et bois sur la Zad. On s’est dit que l’on allait assumer de prendre en charge la question des forêts. Tout l’hiver, on a rencontré des charpentiers, des naturalistes, des sylviculteurs, des bûcherons, pour apprendre à les gérer sans les exploiter. Le hangar de l’avenir, à Bellevue, sera l’atelier bois. Alors que l’on risque l’expulsion, on se projette sur 50, 100 ans ! »
Cette ressource locale permettra de mieux gérer le bois de chauffage, et de créer des matériaux de construction. « Ici, on se défend en construisant. Des trucs en dur, en solide, pour montrer qu’on est là pour longtemps », insiste Jet. Il a lancé la folle idée du phare, dont la solide structure de métal s’élève au-dessus de la ferme de pierres de la Rolandière : « Il y a la sirène, pour lancer l’alerte en cas d’arrivée de la police pour les expulsions, et la possibilité d’être des dizaines de personnes à s’attacher à la structure pour éviter la destruction du phare et donc de la maison. » (...)

On construit aussi en cultivant des champs et des jardins qui s’éveillent tranquillement avec le printemps, ou en alimentant la lutte. Les cantines mobiles, désormais rodées, savent comment nourrir trois cent personnes à la fois. La Black Plouc Kitchen, mini restaurant installé dans une roulotte, propose des repas à prix libre composés d’aliments locaux. Déjà deux fournils et leurs fours respectifs tournent sur la Zad. Nourrir la lutte, une donnée essentielle car « quand on n’a pas à penser à ce que l’on va manger, on peut faire autre chose », souligne Fanny.
Autant d’activités politiques, parce qu’émancipatrices et génératrices d’autonomie. (....)

Avec les mouvements sociaux nantais, plusieurs personnes de la Zad se sont impliquées dans l’organisation de la plus grosse manifestation anti-FN de cette période électorale, à l’occasion de la venue de Marine Le Pen à Nantes. La présidente du FN a indiqué qu’elle respecterait le résultat du référendum qui a dit oui à la construction de l’aéroport, et n’a pas de mots assez durs pour qualifier les occupants de la Zad.
Du côté d’Emmanuel Macron, la recension de ses déclarations sur le sujet fait plutôt rire, ici. Notamment celle de nommer un médiateur qui « calmera les choses », afin d’éviter une intervention de la police ou de l’armée pour évacuer les occupants de la zone. On se demande bien qui aurait ce pouvoir magique. Alors que la perspective d’une expulsion s’était éloignée avec l’arrivée de la période électorale, le nouveau pouvoir pourrait décider d’agir rapidement. D’autant plus que l’Union Européenne vient de donner son feu vert au projet d’aéroport. Bref, tout nouveau gouvernement sera forcément « un ennemi », soulignent plusieurs habitants. (...)

Les mouvements sociaux, les militants, les activistes, sauront-ils faire face au nouveau pouvoir ? « Il me semble qu’il y a une forme d’abattement au sein des mouvements sociaux, estime-t-elle. Mais c’est leur nature, d’être imprévisibles. Une semaine avant Mai 68, il y avait des gens pour dire qu’il ne se passerait jamais rien en France. »