
Très investi dans les luttes paysannes, Patrick Bougeard a refusé d’être décoré par la Légion d’honneur. Motif : « Il n’y a rien de positif dans la politique agricole d’Emmanuel Macron. »
Patrick Bougeard — J’ai du mal avec le fait d’être honoré individuellement alors que tous mes engagements l’ont toujours été au sein d’organisations, que ce soit au mouvement des Paysans-travailleurs ou à la Confédération nationale des syndicats de travailleurs paysans (CNSTP) [1], où les actions ont été conduites collectivement.
Dans une lettre, le ministère de l’Agriculture dit reconnaître mon engagement au service de l’intérêt général. Je trouve malhonnête de la part de l’État de justifier ainsi l’octroi d’une médaille alors qu’il piétine les structures dans lesquelles je suis intervenu et qui sont porteuses de l’intérêt général.
En effet, quelques jours plus tôt, les organisations de promotion et de développement de l’agroécologie en France, dont Solidarité paysans et l’Atelier paysan font partie, venaient de recevoir leurs financements du ministère de l’Agriculture. Sur onze structures, trois seulement avaient bénéficié d’une petite augmentation. 97 % des dotations avaient été affectées à ce que nous appelons le complexe agro-industriel, ce système permettant les superprofits de la filière agro-alimentaire — chambres d’agriculture, syndicalisme majoritaire, etc.
Pour obtenir ces dotations, les organisations doivent désormais signer une convention d’engagement citoyen et respecter un certain nombre de règles – par exemple, ne pas troubler l’ordre public. Ces engagements contraignent leur fonctionnement et peuvent annihiler leur capacité de lancer l’alerte.
Dans ce contexte de défis environnementaux majeurs, de changement climatique, de baisse de la biodiversité, de paupérisation d’une partie de la population et d’augmentation du recours à l’aide alimentaire, et alors qu’il avait la possibilité de faire un signe en faveur de l’agroécologie, l’État a donc pérennisé et conforté le pôle agro-industriel. (...)
le ministre de la Santé Olivier Véran explique que les suicides chez les paysans résultent de problèmes de santé mentale — donc de problèmes individuels. Autrement dit, que les paysans qui se suicident sont des personnes malades et qu’elles sont en quelque sorte responsables de leur situation. C’est indigne. Prétendre ceci, c’est refuser de regarder en face ce que sont devenues les conditions de travail des paysans aujourd’hui.
Le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, lui, explique que si les paysans ont des revenus trop faibles, c’est de la faute des consommateurs qui refusent de sortir leur carte bleue pour acheter en circuits courts des produits français. (...)
Ces propos des ministres dédouanent complètement le complexe agro-industriel de ses responsabilités dans le portage et la mise en œuvre du modèle productiviste. Le plus fou, c’est que la mise en œuvre de ce plan a été confiée à ce complexe agro-industriel. (...)
Emmanuel Macron est le digne héritier des présidents qui l’ont précédé sur les questions agricoles. Il est peut-être même pire, puisqu’il développe des fonds pour la robotisation et la numérisation de l’agriculture, alors qu’on sait que les technologies déployées dans le secteur ont été un facteur de dégradation des conditions de vie des paysans. Il n’a jamais remis en cause les pratiques du complexe agro-industriel. Il en est même un des acteurs, en mettant en place les lois et règlements qui autorisent les super-profits de l’agro-industrie.