
Paul Ariès est politologue, directeur du journal Le Sarkophage, et auteur de La simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance, publié aux éditions de La Découverte. Il décrypte le lien très étroit entre le choix du nucléaire civil et celui d’une société éternellement tournée vers la croissance et le consumérisme. Favorable à l’abandon du nucléaire, il lance un appel pour la création d’un tribunal d’opinion afin de dénoncer les crimes du nucléaire civil.
On peut parler dans le domaine énergétique d’une véritable subculture professionnelle. Peu de syndicalistes défendront avec autant d’acharnement leur entreprise que ceux d’EDF... avec autant d’aveuglement aussi... refusant par exemple d’entendre la critique sur « l’État EDF » c’est-à-dire l’État dans l’État. Je me souviens des débats extrêmement violents à la fin des années 1970 sur cette question. Cet esprit de corps marquera plus durablement encore la gauche syndicale que politique. Dans ce domaine, la gauche n’hésite pas à faire appel au jugement des experts, des savants. Il faut aujourd’hui en finir avec cette « Union sacrée » autour du nucléaire civil. Le débat sur le nucléaire doit pour cela échapper aux experts et revenir aux citoyens. C’est un débat de société. Souvenons-nous du vieux slogan « société nucléaire, société policière ».(...)
Les Tchernobyl passent. Le nucléaire ne trépasse pas. La peur nous rend impuissants. Je dirai même que le système a besoin de la peur, que le pouvoir gouverne par la peur. Le catastrophisme est l’allié des technolâtres, car il oblige à penser dans le cadre du système. Il donne la parole aux experts qui nous ont précisément conduits dans le mur. Il donne la primauté à l’action, c’est-à-dire à ceux qui sont encore et toujours aux commandes. Ce n’est pas au nom de la peur que les peuples se mobilisent mais en raison de la prise de conscience d’un scandale (scandale de l’amiante, scandale des OGM ou du nucléaire).(...)
Nous devons donc exorciser la peur, ce qui n’est possible que par une action collective/politique. On ne sort de la peur que par un sentiment de justice, que par une prise de parole construite(...)
Cet appel visant à instituer un tribunal d’opinion pour juger des crimes du nucléaire civil est à la fois un coup de gueule face à l’irresponsabilité de la technoscience et des milieux d’affaires, mais c’est aussi un souffle d’espoir, car c’est le bon moment pour faire bouger les gauches sur le nucléaire.(...)
Ce tribunal sera l’occasion de comprendre comment ce complexe techno-industriel lié aux milieux d’affaires a pu nous berner.(...)
En finir avec le nucléaire c’est ouvrir aussi la porte à une espérance, celle du bien vivre, celle d’une société conviviale, celle du moins mais mieux, celle d’un surcroît de démocratie.(...)
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