
Loin d’être un baroud d’honneur, la neuvième journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites a rassemblé des manifestants en masse dans toute la France. La colère, voire la haine, se concentre sur Emmanuel Macron. Incendies et violences policières ont marqué la fin de journée.
(...) journée singulière, où les manifestant·es ont défilé contre une loi définitivement adoptée – mais pas encore promulguée, en attendant l’avis du Conseil constitutionnel, qui devrait être rendu dans le courant de la semaine prochaine. (...)
les primo-manifestant·es n’étaient pas rares dans les cortèges (lire notre récit en direct de la journée, partout en France). Et leur mode d’action illustre une radicalisation à l’œuvre depuis l’adoption du texte à l’Assemblée par le biais de l’article 49-3, jeudi 16 mars. Radicalisation dont les traces ont été notables dans les manifestations partout en France. (...)
La colère qui s’est exprimée, parfois librement, ce jeudi n’a qu’une cible : Emmanuel Macron. Ils sont très nombreux à ne lui pardonner ni le 49-3, ni son intervention télévisée autosatisfaite de mercredi, appuyée par un tweet clamant : « Je suis sûr qu’on saura s’unir, se réunir pour l’avenir du pays. » Le sentiment commun a été résumé par le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez, au départ de la manifestation parisienne : par ses mots, le chef de l’État « a jeté un bidon d’essence sur le feu ».
Effet garanti : selon la préfecture de police, 119 000 personnes ont défilé à Paris. C’est le chiffre le plus important de ce mouvement social dans la capitale, mais aussi le plus gros jamais mesuré pour une manifestation syndicale. Dans toute la France, le ministère de l’intérieur a compté 1,1 million de manifestant·es, pas loin des deux pics du 31 janvier (1,2 million) et du 7 mars (1,3 million). La CGT en a dénombré 3,5 millions. Et l’intersyndicale ne désarme pas : dans la foulée de ce succès, elle a annoncé une nouvelle journée de manifestations pour ce mardi 28 mars. (...)
Comme depuis le début de la contestation, des manifestations étaient organisées sur tout le territoire, quelle que soit la taille des communes, dans 300 lieux différents. Et côté grévistes, la mobilisation était à la hausse après des journées moins suivies. Le trafic des trains, métros et RER a été fortement perturbé toute la journée, et à Paris, 140 des 645 écoles primaires ont fermé.
L’essence se raréfie aussi dans les stations-service en raison des blocages des dépôts pétroliers et de l’arrêt progressif des raffineries (...)
Autre fait frappant, le mouvement touche désormais des lieux qui se tenaient jusque-là à l’écart des grèves : agent·es de l’Insee, de la Cour des comptes, du Mobilier national… Pour la première fois depuis trente ans, les dockers de Dunkerque ont arrêté le travail. Tout aussi inédit, la faculté de droit Assas-Panthéon a été bloquée par une partie de ses étudiant·es.
La haine contre le chef de l’État s’exprime désormais librement
Partout, les mêmes termes reviennent pour décrire Emmanuel Macron. À Lyon, une syndicaliste CGT dénonce le « roi », un nouveau « Louis XVI » auquel il est rappelé que « lorsque le peuple se soulève, il fait tomber la monarchie ». À Rennes, Bertrand, délégué syndical CGT chez Lafarge, le constate, « la haine » s’est installée envers le chef de l’État. « Savez-vous quelle réserve de rage vous venez de libérer ? », interrogeait ce week-end dans Mediapart l’écrivain Nicolas Mathieu. Des mots prémonitoires. (...)
« Quand le président dit que les syndicats n’ont pas cherché le dialogue, j’ai pris ça comme un foutage de gueule. Ensuite je me suis demandé : pourquoi cherche-t-il à ce point à alimenter le feu ? » (...)
« Et j’ai failli exploser ma télé tellement il se prenait pour un monarque. Ce type est en train de bousiller tous nos acquis, et on devrait fermer notre gueule ? » , s’insurge ce chauffeur routier de 60 ans, en préretraite et qui craint que la réforme ne l’oblige à retourner au travail pour compléter ses trimestres. (...)
Même les adhérents CFDT veulent bloquer le pays (...)
« La violence du gouvernement rend les gens ultra vénères. Les policiers sont agressifs. On n’est pas à l’église ici, on ne tend pas l’autre joue » (...)
Incendies et violences policières
Les violences sont bien apparues. Et les flammes ont frappé. À Lorient (Morbihan), où environ 300 manifestant·es ont allumé un feu tout contre le commissariat. Des vitres ont été brisées, la grille d’entrée brûlée. À Paris, la soirée a été marquée par les incendies qui ont frappé le quartier de l’Opéra et le IIe arrondissement, à la suite des feux allumés en fin de manifestation par certains participants. Et à Bordeaux, c’est l’entrée de la mairie qui a été incendiée. (...)
Durcissement contre durcissement, la journée a aussi vu les violences policières se multiplier. À Rouen (Seine-Maritime), une manifestante a eu un pouce arraché par un tir de grenade des forces de l’ordre. Le député Renaissance Damien Adam a demandé une enquête.
À Paris, les agressions contre les manifestantes et manifestants se sont multipliées, relayées par les vidéastes indépendants qui parcourent les cortèges de tête : coup de matraque en plein visage, policiers s’acharnant sur des manifestants à terre les mains levées dans une immense cohue, début d’attaque du service d’ordre entourant le carré syndical officiel…
Autant d’actes qui donnent raison au communiqué diffusé quelques heures plus tôt par la Ligue des droits de l’homme : « On ne décrète pas par l’usage de la force la fin d’un mouvement social dans un État de droit », y clamait l’association, appelant « le gouvernement à la raison et le ministre de l’intérieur au respect des droits fondamentaux ». (...)