
D’après nos informations, les élèves de CM2 de la capitale vont « bénéficier » d’une opération « pédagogique » de promotion du navire militaire, financée par la mairie de Paris et des entreprises privées. « Bientôt un kit sur le Mirage 2000 avec Dassault ? », réagit un syndicaliste.
Le kit est arrivé en octobre dans toutes les classes de CM2 de la capitale. Pour chaque élève, une « représentation miniature du “Charles-de-Gaulle” » – pas l’homme d’État mais bien le porte-avions militaire à propulsion nucléaire. Avec un « petit livre ludique » pour « tout savoir sur le navire », une « affiche » représentant ses « ancêtres », ou encore un « roman dont vous êtes le héros ». La cible : 26 000 enfants de 10 ou 11 ans.
Cette opération « pédagogique » assurée par la Ligue de l’enseignement, une confédération d’associations d’éducation populaire, a un coût important : d’après nos informations, il est supporté non seulement par la mairie de Paris, qui a versé 35 000 euros à la Ligue pour ce projet, mais aussi par les entreprises Naval Group et TechnicAtome, respectivement fabricantes du Charles-de-Gaulle et de ses réacteurs nucléaires, à hauteur de 10 000 euros. (...)
Baptisé « Le grand Charles », ce kit vise à faire « découvrir le porte-avions sous différents angles (civique, historique, technique) », ainsi qu’à « familiariser [les élèves –ndlr] avec son fonctionnement et interroger la notion de coopération à travers ce que les marins nomment l’esprit d’équipage », détaille une brochure réalisée par la Ligue de l’enseignement. Composé également d’un livret à destination des enseignants, le kit « s’inscrit dans une perspective d’éducation à la citoyenneté et d’esprit de défense », autour d’un « symbole incarnant l’excellence française ».
Il est aussi prévu que des représentants de la Marine nationale, de Naval Groupe et de TechnicAtome, deux entreprises détenues à majorité par l’État, interviennent directement dans certaines classes. Certaines bénéficieront même d’une visite du navire à Toulon, où il est amarré. (...)
Sous la houlette de la Cité éducative du 19e arrondissement de Paris, deux classes de l’école Tanger ont aussi été invitées, le 8 octobre dernier, à une cérémonie de présentation à l’Hôtel de Ville. Maquette et photos à l’appui, des représentants de la Marine nationale y ont vanté les mérites du « grand Charles » sous l’œil attentif de membres de Naval Group, TechnicAtome, de la Fédération nationale de l’aviation (FNAM), du Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM), ou encore du service « communication » des armées (le SIRPA).Sur Twitter, le recteur de l’académie de Paris, Christophe Kerrero, en a fait lui-même la promotion, voyant dans cette opération un « engagement pour la paix et les valeurs de la République ». (...)
Sous couvert d’un discours de promotion de « l’excellence française », le projet « Le grand Charles » se situe dans la droite ligne de la politique menée par le gouvernement ces dernières années pour rapprocher défense et éducation. C’est cette vision qui a dicté la « grande » mesure pour la jeunesse portée par Emmanuel Macron : le service national universel (SNU). Malgré de nombreuses critiques, le gouvernement vient de lancer sa campagne de recrutement pour le SNU, le 8 novembre, en espérant tripler en 2022 le nombre de participants à ce dispositif reposant sur le volontariat.
Du côté de la communauté pédagogique, le procédé du « grand Charles » interroge. « L’éducation nationale manque cruellement de moyens mais, là, on donne des milliers d’euros pour faire la propagande d’un porte-avions… C’est délirant », fustige Benjamin Bauné, coresponsable premier degré du syndicat Sud éducation Paris. Et d’interpeller : « L’année prochaine, ce sera un kit sur le Mirage 2000 avec Dassault ? » A contrario, le syndicaliste regrette la suppression, cette année, de l’opération « Chèques lire » permettant de faciliter l’accès aux livres pour les enfants issus de familles à faible capital économique.