
Depuis novembre 2019, trois enfants français sont placés dans un orphelinat de la capitale syrienne. Leurs parents, membres de l’État islamique, sont morts sur place. Après plusieurs mois d’enquête, nous avons réussi à retracer le parcours unique de ces orphelins.
Il est 8 h 30, lundi 13 juin, lorsque Loubna voit apparaître les visages souriants de deux petites filles parfaitement coiffées sur l’écran de son téléphone portable. Zara*, 9 ans, est née en France. À côté d’elle, sa petite sœur gigote dans tous les sens. Il y a trois ans, Inès a vu le jour à Baghouz, dernier bastion de l’État islamique en Syrie.
Leur mère, djihadiste, a accouché dans un tunnel creusé sous le village, avant d’être tuée dans une frappe aérienne de la coalition internationale. Zara, Inès et leur frère Medhi, 7 ans, ont survécu. Aujourd’hui, ils sont dans un orphelinat à Damas.
« Je n’ai pas les mots pour vous décrire ce que j’ai ressenti en voyant ces deux petites. C’était bouleversant, confie Loubna, la tante paternelle des deux aînés de ces orphelins français. Zara ressemble tellement à sa mère, et Inès dégage quelque chose d’incroyable. C’est dingue, on ne dirait pas qu’elles ont vécu l’enfer », lâche-t-elle, la gorge nouée. Loubna n’a pas pu avoir de contact avec son neveu : le petit garçon est pris en charge dans un autre orphelinat de la capitale syrienne. Il serait en bonne santé. (...)
cette tante n’a elle-même jamais reçu de réponse des autorités françaises concernant le rapatriement de ces enfants, pourtant localisés depuis plusieurs mois.
Des enfants miraculés
Loubna a longtemps cru que la fratrie n’avait pas survécu à la bataille de Baghouz. En juin 2015, son frère aîné a quitté la France pour rejoindre l’État islamique avec sa femme et leurs deux enfants. Il est mort au combat en 2016. « Après son décès, toute ma famille a supplié Leyla, ma belle-sœur, de ramener les petits. On lui a dit : rentre, tu n’as plus rien à faire là-bas avec Daech ! », confie Loubna.
Mais Leyla choisit de rester en Syrie et se remarie avec un autre djihadiste. Son dernier contact avec ses proches en France date de février 2019, un mois avant la chute territoriale de l’organisation terroriste. Ce jour-là, elle explique que tout va bien, et que les choses finiront par s’arranger. Jamais elle n’évoquera la naissance de sa dernière fille sous les bombes.
Peu après ce message, selon les informations de Mediapart, Leyla est gravement blessée par un tir de mortier et se retrouve paralysée. Lorsque sa tente prend feu quelques semaines plus tard après une frappe aérienne, elle ne parvient pas à s’enfuir. Avant de mourir, elle confie ses trois enfants à une autre femme de l’organisation terroriste venue lui porter secours. (...)
Comme toutes les femmes djihadistes et les enfants arrêtés par cette alliance kurdo-arabe soutenue par la coalition internationale, ils ont été placés dans un camp-prison à leur sortie de Baghouz.
Mais le 14 novembre 2019, huit mois après son arrestation, cette membre de Daech se faufile sous les grillages du camp d’Al-Hol, au nord-est de la Syrie. Après plusieurs semaines de préparation, la Belge de 33 ans a pu récolter suffisamment d’argent pour payer des passeurs locaux. Elle s’évade avec ses enfants et Zara, Medhi et Inès.
De nuit, entassés dans le coffre d’une voiture, les fuyards font route vers l’ouest pour sortir de la zone contrôlée par les FDS. À l’époque, Zara a moins d’un an. Elle ne se nourrit quasiment plus depuis la mort de sa mère. Son état se dégrade de jour en jour. Le système des passeurs est très bien rodé : des dizaines d’autres femmes djihadistes détenues par les Kurdes se sont évadées avant elle. (...)
Selon les informations de Mediapart, elle aurait été arrêtée sur le trajet, à proximité d’une zone contrôlée par l’armée syrienne.
Avant que son téléphone ne s’éteigne définitivement, ses amies, ex-membres de Daech, reçoivent un dernier message : « Nous sommes avec le régime ! » Impossible aujourd’hui de savoir si la famille a été vendue par le passeur au régime d’Assad. Placée en détention dans la capitale syrienne, la Belge est rapidement séparée des cinq enfants arrêtés avec elle.
En Belgique, la jeune femme, qui a gravité dans l’orbite de Sharia4Belgium, a été condamnée par défaut à cinq ans de prison, la peine maximale à Bruxelles pour participation aux activités d’un groupe terroriste en tant que membre. Le tribunal l’a également déchue de sa nationalité belge.
Le silence des autorités françaises
Le 13 octobre 2021, à plus de 4 000 kilomètres de Damas, Loubna reçoit un message vocal inespéré : « Bonjour, ça fait très longtemps que j’essaie de joindre la famille des enfants. Leyla est décédé, mais il reste Inès, Medhi. Ils sont à Damas. Tournez-vous vers la Croix-Rouge. » Un choc énorme pour cette tante. (...)
Contactés à plusieurs reprises, ni le ministère des affaires étrangères ni l’ambassade de Syrie en France n’ont donné suite à nos demandes d’information. Leur silence a été insupportable pour Loubna et ses proches. Seuls, ils vont tout de même parvenir à contacter les deux orphelinats où sont placés les enfants et recevoir enfin des nouvelles. (...)
Depuis mars 2012, la France a rompu ses relations diplomatiques avec la Syrie. En réponse à la répression sans limites du régime d’Assad contre toute forme d’opposition, l’ambassade de France à Damas a été fermée. Il n’y a donc plus de représentants des autorités françaises sur le territoire syrien. (...)
Loubna ne sait plus à qui s’adresser : « Ils sont abandonnés de tous, et notre pays semble faire comme s’ils n’existaient pas. C’est une question de politique, mais ce sont ces enfants qui en subissent les conséquences ! Ils ont déjà payé pour les choix de leurs parents. »