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Parent noir, enfant blanc ou notre trouble vision du métissage
Article mis en ligne le 2 septembre 2019
dernière modification le 30 août 2019

(...) Identité épidermique

Bien sûr, la mélancolie que peut susciter cette disparité physionomique entre parent et enfant traduit une envie familiale plutôt répandue : celle que l’enfant ait des traits similaires à ceux de ses ascendants.

Un souhait parental d’autant plus pressant que « plus du tiers des immigrés et descendants d’immigrés d’Afrique subsaharienne ou originaires d’un DOM se définissent par la couleur de peau », apprend-on dans le volet « Les registres de l’identité. Les immigrés et leurs descendants face à l’identité nationale » de l’enquête « Trajectoires et origines » (2008, Insee-Ined) –en partie parce que c’est une caractéristique physique visible qui leur est souvent renvoyée avant toute autre chose.

« Le regard d’autrui me fait toujours dire : “T’es black”, c’est la couleur qui passe avant ton humanité », décrit Oumou. « On est dans une société qui voit la couleur de peau avant de voir l’individu », appuie la sociologue Marie-France Malonga, spécialiste des représentations des minorités, notamment visibles. (...)

« La différence est constatée quand on se confronte aux autres, lorsqu’il y a des interactions sociales. »

Marie-France Malonga, sociologue
(...)

Reste que ces dissemblances apparentes, même si constatées fugacement avec parfois un brin de surprise ou de dépit, n’empêchent pas la construction du lien parent-enfant. (...)

Comme le rappelle le sociologue Christian Poiret, « en Afrique subsaharienne comme aux Antilles françaises, il y a des formes de valorisation très forte de la blancheur –on parlera par exemple d’enfant “chapé” en Martinique ou en Guadeloupe pour désigner un enfant très clair de peau qui a “échappé” au stigmate noir. Et cela se traduit notamment par des stratégies matrimoniales de blanchiment sur des générations ».

C’est le cas dans le roman Là où les chiens aboient par la queue d’Estelle-Sarah Bulle. « Tatar était un butor, qui savait à peine lire et compter, mais je voulais vraiment me marier avec lui parce qu’avec un tel peau chapé, on me respecterait », narre le personnage de Lucinde.

Ceci est inculqué aux enfants dès le plus jeune âge. (...)

« C’était rentré dans ma tête d’une manière ou d’une autre. En tant que métis, on est socialisés pour détester tout ce qui se rattache à une apparence noire. » (...)

La poétesse afro-américaine Toi Derricotte dans Noire, la couleur de ma peau blanche, l’évoquait également : « Mon oncle m’a prévenue : “Ne ramène pas un de ces garçons noirs à la maison !” »

Cette valorisation des peaux plus claires peut se combiner à une haine de soi, qui, si elle n’est pas systématique ni toujours conscientisée et ensuite combattue, est pleinement incorporée. (...)

Si ce colorisme persiste, c’est notamment parce que l’apparence phénotypique des personnes racisées ne leur attire pas seulement des questions sur leurs origines mais aussi son lot de discriminations.

Certes, celles-ci sont difficiles à objectiver sur le territoire français sans statistiques ethniques, mais le volet « Les discriminations en France : entre perception et expérience » de l’enquête « Trajectoires et origines » est probant.

On y découvre que 40% des originaires des DOM et 47% de leurs descendant·es sont discriminé·es ; ces pourcentages sont respectivement de 53% et 57% pour les originaires d’Afrique subsaharienne et leurs descendant·es. C’est la discrimination ethno-raciale, qui regroupe les motifs origine et couleur de peau, qui prédomine (...)

Stigma familial

En réalité, pour les enfants métis·ses qui passent pour blanc·hes, « le stigma est porté sur la situation familiale plutôt que l’apparence physique », énonce Gaëlle Aminata Colin. Il est donc toujours présent.

Seulement, « il n’apparaît que quand on voit ces personnes avec leurs parents, que l’on se rend compte qu’elles viennent d’une famille noire. À l’école, elles n’ont pas de problème, ont plein d’amis. À aucun moment leur apparence physique ne joue un rôle, sauf quand on parle d’inviter des gens à la maison. C’est le moment où elles se rendent compte que, depuis tout ce temps, les gens pensaient qu’elles étaient blanches. » Cela les distingue des autres personnes métisses, mais aussi et surtout de celles qui sont blanches : « Elles ont cette conscience de la possibilité d’être stigmatisées. » (...)

L’apparence blanche crée un décalage, n’empêche pas d’être victime de racisme et encore moins d’y être confronté·e en tant que témoin indirect·e. « Toute ma vie je suis passée sans être vue dans le monde des Blancs, et toute ma vie j’ai senti ce moment soudain et alarmant de la conscience où je me rappelle que je suis noire », écrivait-elle au début de cet ouvrage, avant de relater ce qu’elle avait vécu à bord d’un train, le California Zephyr, quand un jeune homme blanc s’était assis à côté d’elle pour éviter la place qui lui avait été attribuée, à côté d’un homme noir.
Parentalité inconcevable

Pas de soulagement systématique ni entier, donc, lorsque naît l’enfant blanc·he. Les émotions suscitées par sa pigmentation sont souvent plus ambivalentes –ce qui ne les empêche pas de révéler un racisme latent. (...)

Aux Noir·es a longtemps été assignée « la figure stéréotypée de la victime, de la personne assistée, qui a besoin d’aide », détaille la sociologue. L’origine de la diffusion de ce cliché est ancienne : elle remonte entre autres aux expositions coloniales de la fin du XIXe et du début du XXe siècles qui, dans leur mise en scène, représentaient les populations colonisées comme des individus inférieurs devant être en quelque sorte « sauvés de leur état sauvage par les Blancs, ces derniers s’étant investis auprès d’eux d’une mission civilisatrice permettant de justifier leur domination. Autrement dit, il fallait comprendre qu’on les colonisait pour leur bien ». (...)

Cette remise en question du lien de parenté juste parce que l’apparence diffère montre aussi à quel point le métissage est incompris. (...)

s’il est admis que les frères et sœurs, à l’exception des vrais jumeaux et jumelles, sont différentes, il est moins bien compris que leur couleur de peau peut ne pas être la même. « Pourquoi Lukas il est métis alors qu’Inès ne l’est pas ? », a demandé à leur maman une petite voisine, Inès étant plus claire encore que son frère.

Ce questionnement est loin d’être réservé aux enfants. (...)

« nous ne sommes pas habitués à la différence et à la multiculturalité. Ce n’est pas quelque chose qui paraît banal dans notre société française, pourtant mélangée par des brassages importants de populations du fait notamment de notre histoire esclavagiste et colonialiste. Par ailleurs, nous sommes une des sociétés en Europe où il y a le plus de couples mixtes ».

Si l’on se réfère à l’enquête « Trajectoires et origines » de 2008, 22% des immigré·es né·es dans un pays d’Afrique sahélienne et 47% né·es en Afrique guinéenne ou centrale et ayant rencontré leur conjoint·e après la migration étaient en couple avec une personne issue de la population majoritaire : en somme, un·e blanc·he.

D’après l’Insee, en 2015, les mariages mixtes –à savoir ceux entre une personne de nationalité française et une personne de nationalité étrangère– représentaient 14% de ces unions matrimoniales célébrées en France et, dans 14% des cas, la ou le conjoint·e étrangèr·e possédait la nationalité d’un pays d’Afrique subsaharienne. En 2017, 15% des mariages célébrés étaient mixtes.
Représentations brassées

« Bien qu’il y ait des enfants issus de ces amours mixtes, et donc des différences de couleurs au sein des familles, il y a tout de même une tendance à exclure la question du métissage dans nos représentations de la société française. Il y a comme un “gap mental” : c’est comme si le métissage n’existait pas », soutient la spécialiste des représentations des minorités. (...)

Nos réactions interloquées face au métissage viennent donc, comme le rappelle son confrère Christian Poiret, lever le voile sur le fait que « nous baignons depuis notre naissance dans un monde social en partie structuré et hiérarchisé par des formes de catégorisations ethniques (ethnistes) et raciales (racistes) et, de ce fait, nous classons spontanément les individus que nous côtoyons au moyen de ces catégories ».

C’est là que se situe le nœud du problème. (...)

Comme l’exprimait si bien la poétesse afro-américaine Toi Derricotte, « les Blancs sont en colère, parce qu’ils ne veulent pas penser que quelqu’un qui a l’air aussi blanc qu’eux puisse être noir. Ils refusent le brouillage des lignes ».

Ce que met en lumière l’enfant blanc·he d’une personne racisée, c’est tout bonnement « le rapport de la France au métissage et à la multiculturalité », résume Marie-France Malonga. Ainsi que son système de pensée encore foncièrement raciste.