Si on ne savait que le covid-19 sévit, on pourrait croire à une journée normale dans les parcs berlinois. Entre les joggeurs et cyclistes habituels, de jeunes parents promènent leurs poussettes, d’autres font des exercices ou jouent au ping-pong. On voit même les premiers bateaux gonflables voguer sur la Spree, annonçant comme chaque année l’arrivée des beaux jours.
Au moment où j’écris cet article, la situation sanitaire est radicalement différente de part et d’autre du Rhin : 108.847 cas et 17.920 morts en France, contre 135.843 cas pour 3.890 morts en Allemagne. On observe 4,5x moins de morts en Allemagne ! Si cela semble impossible, (...)
La France et l’Allemagne, si proches géographiquement, fonctionnent de manière bien différente. Plusieurs spécificités nationales jouent un rôle de premier rang dans la gestion de la crise du Covid.
Des différences structurelles
Il est tout d’abord bon de rappeler les basiques : la France est un état unitaire centralisé, ce qui signifie que tous les citoyens sont soumis au même et unique pouvoir, lui même centralisé dans un même lieu : Paris. Pour cette raison, les décisions politiques françaises tombent “d’en haut”, sans discussion ni aménagement territorial ou régional.
A l’inverse, l’Allemagne est un état fédéral composé de 16 entités autonomes, les Länder, dotés de leur propre gouvernement, et qui légifèrent dans de nombreux domaines, dont la santé. Chaque Land est donc à la fois libre et responsable des budgets alloués à ce domaine. Grâce à un principe de solidarité, les Länder les plus riches paient pour les autres, permettant alors à chacun d’avoir un budget correct pour soigner la population. Chaque région peut aujourd’hui choisir son degré de confinement en fonction de l’avancée de l’épidémie. (...)
D’autre part, le système électoral des deux pays montre un fonctionnement différent au sommet de l’Etat. (...)
On a donc en Allemagne au niveau étatique un processus décisionnel collégial et incluant, basé sur le compromis et la discussion, là où le système français est centralisé et “top-down”.
Gardez cela en tête, cela aura son importance dans la gestion de la crise. (...)
Des manières de vivre différentes
Les deux pays ont aussi des manières de vivre très différentes qui ont un impact sur la crise sanitaire actuelle et sa gestion.
En Allemagne, la densité de population est beaucoup moins importante dans les grandes villes qu’en France. (...)
Ensuite, l’Allemagne est un pays plus urbanisé que la France, ce qui lui permet de réduire le risque de déserts médicaux et donc de prendre plus rapidement en charge ses malades. Le fédéralisme permet d’éviter l’effet “Paris et le reste du monde”. (...)
les allemands quittent le domicile parental généralement beaucoup plus tôt : 23,7 ans en Allemagne contre 29,5 ans en Espagne et 30,1 ans en Italie. On a donc un virus qui a moins de chance de circuler rapidement vers les aînés, sans compter que la culture germanique est beaucoup moins tactile. Pas de bise, pas de contact physique appuyé.
Enfin, n’oublions pas qu’en Allemagne, contrairement à la France, le télétravail est admis et pratiqué depuis des années. Il s’est donc mis en place tout naturellement dès le début de la crise, dans les grands groupes comme dans les PME de nombreux secteurs.
Gestion de crise dépendante du système de santé
Au-delà des différences structurelles, l’analyse des systèmes de santé est capitale pour comprendre la gestion de la crise actuelle. (...)
Ce qui est frappant, c’est l’opposition entre le caractère préventif du système de santé allemand, là où le système français se veut réactif. (...)
le premier cas -le fameux “patient 0”- est constaté le 27 janvier en Bavière sur un cadre en lien direct avec la Chine. Ce traçage à la source permet alors aux autorités Allemandes de lancer immédiatement la machine et de commencer les dépistages du covid-19 dès fin janvier, et ce pour toute personne allant voir son médecin dès les premiers symptômes, ayant été en contact avec un malade ou revenant d’une zone à risque.
Car oui, le pays était préparé. “L’Allemand n’aime pas la crise”, me disait récemment un ami. OK mais enfin, qui aime la crise ?! Personne, mais disons que certains se préparent à cette éventualité un petit peu mieux que d’autres. Et on a à faire ici à un pays rationnel et prévoyant, là où la France est un pays beaucoup plus flexible et dans l’adaptation, pour ne pas dire l’improvisation. (...)
Très bien préparée en amont donc, l’Allemagne a pu déployer ses tests de dépistage de manière massive et ainsi mapper très rapidement les premiers nids d’infection. Grâce à son réseau de laboratoires bien plus dense qu’en France et appuyé par le gouvernement, l’Allemagne a aussi décidé de suivre l’exemple des pays asiatiques, et fait aujourd’hui 500.000 tests par semaine gratuitement, avec un objectif de 200.000 tests par jour pour ce mois d’avril. Les allemands ont donc pu dérouler leur plan d’urgence comme prévu dans leur scénario de crise, de manière planifiée et efficace.
En France, on réagit à la crise. (...)
tout d’abord le pays n’avait pas suffisamment de tests de dépistages disponibles en stock, ni assez de masques, contrairement à ce qu’avait annoncé le gouvernement à la population. Et la collaboration entre laboratoires et institutions a mis plusieurs semaines à voir le jour. (...)
Lors de son allocution du 13 avril, Emmanuel Macron a affirmé que “l’Etat, à partir du 11 mai, devra permettre à chaque français, de se procurer un masque”. 3 mois après le début de la crise, donc. Un pays qui improvise : CQFD.
Concernant le nombre de morts du covid 19, on observe une énorme différence entre les deux pays. Là encore, la prévention allemande se lit en miroir de la réaction française : avant le début de la crise, l’Allemagne avait déjà 28.000 lits disponibles en soins intensifs, dont 20.000 avec respirateurs. Depuis début avril, le pays a réussi à augmenter cette capacité à 40.000 lits et 30.000 respirateurs. A côté, la France et ses 7.000 lits disponibles en début de crise dénote. (...)
L’Allemagne et la France ne gèrent pas leur système de santé de la même manière.
Alors que les deux pays se talonnent depuis plusieurs années en terme de dépenses de santé ramenées au PIB (autour de 11,3%), l’Allemagne est le premier pays européen en termes de dépenses de santé par habitant, et compte 4,3 médecins pour 1000 habitants, là où la France en a 3,4. D’autre part, plus de 90 milliards d’euros sont dépensées chaque année dans les domaines de la recherche, contre 50 milliards d’euros en France, selon David Larousserie au micro de France Culture.
Les dernières décisions politiques semblent aller dans des sens inverses puisque là où Jens Spahn est en train de mettre en place son “action concertée pour le personnel soignant” prévoyant une augmentation de 10% du personnel en formation d’ici 2023 et un salaire horaire revu à la hausse, le gouvernement français fermait des hôpitaux encore quelques semaines avant le début de la crise.
Enfin, hormis les investissements de long terme, l’équilibre des comptes publics de l’Allemagne lui permettent d’apporter une réponse massive et adaptée à la crise, en ouvrant par exemple le premier “hôpital Corona” il y a quelques jours à Berlin, ou encore en lançant un hackathon permettant de promouvoir les initiatives luttant contre la saturation des établissements de santé. Une plateforme numérique coordonnant les places disponibles en hôpitaux a aussi été mise en place, tout comme des solutions de prise en charge à domicile de patients hospitalisés pour libérer des places pour les victimes du coronavirus, grâce à Recare notamment.
Et pendant que la France attend ses livraisons de masques de l’extérieur car le pays a choisi de délocaliser leur production, l’Allemagne a organisé une mobilisation sans précédent : alors que l’industrie pharmaceutique est soutenue financièrement dans sa recherche de vaccin, les autres industries fabriquent depuis plusieurs semaines déjà des masques, respirateurs et autre matériel de laboratoire. (...)
Deux systèmes à bout de souffle
Mais il ne s’agit pas ici de jeter la pierre à l’un ou l’autre des fonctionnements, car aucun des deux n’est parfait. J’en veux pour preuve qu’une chose capitale les rapproche : ces deux systèmes de santé sont en souffrance.
Si le système français est sous assistance respiratoire depuis plusieurs années avec des coupures budgétaires à répétition et un silence qui en dit long face aux appels au secours de son personnel soignant, l’Allemagne fait elle aussi face à de sérieux problèmes puisque son personnel est en sous-effectif chronique. Alors que la population vieillit massivement, les salaires stagnent, les heures sup s’accumulent, et le personnel flanche. Le recrutement s’avère très compliqué puisque de nombreux infirmiers et aide soignants préfèrent partir dans le privé, soit en renonçant à leur vocation, soit en faisant le choix de travailler dans des agences d’intérim spécialisées. Celles-ci leur offrent de meilleurs salaires en même temps que de meilleures conditions de travail, sans heures sup contraintes ni forcées (...)
Le personnel soignant est alors de plus en plus recruté à l’étranger, on estime à 7% aujourd’hui ce chiffre qui ne fait que grimper. Ce système de santé, qualifié d’un des meilleurs du monde” par Angela Merkel lors de son allocution fin mars, est alors lui aussi affaibli.
Sans oublier qu’il est de base bien plus inégalitaire que le système français puisqu’il s’agit d’un système à deux vitesses, avec des patients publics d’un côté et des patients dits privés de l’autre, à qui on offre des soins plus rapidement et de plus grande qualité. Le prix de l’assurance de santé est elle aussi bien plus élevée qu’en France pour ses cotisants. (...)
Cette crise nous montre 2 styles de management radicalement différents
Diriger un pays, c’est comme diriger une entreprise. Il y a différents rôles à jouer, chacun doit savoir la place qu’il a dans l’équipe, et comment il se situe par rapport aux autres. (...)
en France on accepte beaucoup plus facilement d’avoir un chef. Qui se fait respecter. Sans broncher. Et au niveau sociétal ? Et bien ca donne un système politique comme décrit plus tôt, avec un exécutif qui commande seul. Le management de cette crise sanitaire est donc à l’image du management du pays et de ses entreprises : La preuve, s’il en fallait une, avec les allocutions d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel, à quelques jours d’intervalle (...)
Selon le dernier baromètre politique de la ZDF, pas moins de 89% des sondés sont satisfaits de la gestion de crise par Angela Merkel. Comment a-t-elle réussi cela ? En communiquant de manière transparente sur la situation, avec un discours toujours modéré et en croyant à la responsabilité de chacun. Responsabiliser ses concitoyens plutôt que les infantiliser, une stratégie qui semble être payante.
En s’isolant elle-même après avoir été en contact avec un médecin contaminé, elle a montré l’exemple de la conduite à adopter. (...)
En France, on est davantage dans le registre de la suspicion après “l’affaire des masques” et des informations contradictoires données par différents membres du gouvernement sur la nécessité d’en porter, leur date de livraisons etc.
Dans les médias, on communique aussi différemment. Ceci est à rapprocher du contexte communicationnel distinct des Français et des Allemands (...)
Les premiers sont dans ce qu’il appelle un “haut” contexte communicationnel dans lequel le non verbal, l’interpersonnel et l’émotionnel vont l’emporter sur les mots. Les seconds, dans leur culture à “bas” contexte communicationnel, vont avoir besoin d’une information verbale, objective et rationnelle, quitte à ce que celle-ci paraisse froide. Les médias français sont alors plus sensationnalistes et jouent sur les émotions du public, là où les médias allemands sont connus pour leur sobriété et leur ton neutre, presque monotone. Sans oublier que les médias outre Rhin sont hautement financés par l’Etat (chaque foyer allemand paye 17,50€ mensuels de redevance audiovisuelle, qu’il possède une télé ou non !), ce qui les contraint aussi à la neutralité. (...)
Alors là où les uns font des points d’étape objectifs sur les chiffres (devinez lesquels !), les autres refont l’histoire avant même qu’elle soit faite, cherchant des fautifs avant de réfléchir à des solutions. Et si les français sont aussi connus pour leur culture du débat ou le plaisir de s’écharper alors qu’à la base ils étaient d’accord (cf. l’excellente chronique de Marina Rollman sur France Inter à ce sujet), on observe quelque chose qui va encore un peu plus loin : les journalistes allemands ont tendance à souligner le fait que, dans l’ensemble, les gens se tiennent aux règles et aux gestes barrières. Leurs collègues français quant à eux sont plus friands des exceptions qui confirment la règle et filment volontiers des scènes d’incivilité ou d’amendes collectées. Ils se concentrent sur le négatif. Sur ce qui ne marche pas. Comme pour mieux faire réagir leur audience, ou peut-être pour mieux la diviser. (...)
Faire confiance
Enfin manager une crise, c’est aussi une question de confiance. Celle qui lie gouvernés et et gouvernants.
Le confinement est le premier élément que l’on peut observer. Emmanuel Macron l’a voulu centralisé, strict et contrôlé, là où l’Allemagne l’a décidé de manière décentralisé et souple. (...)
En Allemagne au contraire, cela s’est fait au cas par cas selon les Länder, petit à petit. On parle d’ailleurs plus de “restrictions sociales” que de confinement. Ces annonces échelonnées ont eu pour effet de ne pas affoler la population et ont donné une impression de contrôle de la situation, de mesure. (...)
l’Allemagne est persuadée que si chacun est responsable au niveau individuel, la responsabilité collective émerge automatiquement. Alors si la mise à demeure des français n’a effleuré personne, des voix se lèvent en Allemagne pour faire respecter ce principe fondamental pour la population.
Et les mentalités, ont-elles leur rôle à jouer dans la confiance accordée par les gouvernements respectifs français et allemands ? (...)
Allemands et Français sont, d’après de récentes études, d’accord pour organiser un déconfinement progressif en donnant un peu de leur liberté contre un semblant de sécurité, avec les fameuses applications de tracking. Sur ce point là ils font confiance à leur gouvernement respectif. Pourtant, l’utilisation de cette technologie ne pourrait-elle pas elle-même être perçue comme un manque de confiance vis à vis de sa population ? C’est l’histoire du serpent qui se mord la queue...
Quoi qu’il en soit pour gérer une crise il est nécessaire de choisir un cap pour diriger et communiquer, le tout devant se faire dans un climat de confiance si on veut que cela se passe de manière apaisée et efficace. (...)
“il faudrait se voir avec l’oeil de son voisin”, disait Jules Petit-Senn. Parce que tenter de comprendre l’autre, c’est aussi se donner la possibilité de prendre un peu de recul sur soi-même (...)