
L’école est de plus en plus sélective. Elle a calqué ses méthodes d’enseignement sur la logique du management d’entreprise — par exemple, en adoptant la « pédagogie par projets » ou en adoptant le discours des compétences. C’est une école qui fabrique des travailleurs adaptables et pas du tout des esprits critiques qui se syndiqueront et feront des grèves. Les méthodes pédagogiques par projets se présentent toujours sous un angle généreux (comme le travail en équipe) mais calquent complètement le modèle néolibéral de l’entreprise afin de fabriquer des individus extrêmement autonomes et pas du tout des collectifs, qui risquent de devenir contestataires et de s’organiser dans la critique, si besoin.
Le schéma est très simple : c’est la disparition des services publics d’éducation, de toutes les éducations nationales, pas seulement en Europe, d’ailleurs, mais partout dans le monde. C’est limpide, cela apparaît partout. C’est le transfert vers ce que l’on appelle « le marché éducatif », à savoir des opérateurs privés d’éducation. Et les logiciels vont jouer un rôle majeur dans ce processus. Il est quasiment inévitable, parce que c’est déjà prêt, que les apprentissages vont se faire sur Internet via des logiciels (...)
Les professeurs n’ont pas du tout conscience qu’ils vont disparaître ! Cela leur semble surréaliste car ils pensent être indispensables. Mais cela arrivera tellement vite qu’ils n’auront probablement pas le temps de s’organiser pour y répondre. (...)
Le rôle d’un conseiller de Pôle Emploi consiste désormais à faire rentrer les demandeurs d’emploi dans un algorithme, en fonction de son parcours et de ses compétences, qui l’orientera ensuite vers l’un de ces prestataires privés, qui sont financés pour réaliser des formations qui, bien souvent, ne servent à rien du tout. On a ici un excellent exemple de la façon dont un service public est transformé en un service privé. (...)
Il va y avoir des prestataires privés qui recruteront les bons élèves et il restera une forme d’éducation nationale pour s’occuper des mauvais élèves et leur trouver un boulot, pour balayer les cheveux chez le coiffeur. Voilà, c’est ça le projet. Tout cela financé par de l’argent public, bien entendu !
En réalité, il faudrait réouvrir toute la réflexion des années 1970, et faire des propositions de réforme de l’éducation nationale pour éviter la reproduction des inégalités de classe Vous voyez bien la difficulté, puisqu’il s’agirait de rechanger complètement l’école et non de constamment la rafistoler et la sauver. Il faudrait affirmer de façon extrêmement claire qu’il n’y a aucun rapport entre l’école et le marché du travail et qu’elle n’a pas à s’occuper de cela ; il faudrait refaire une école qui fabrique des citoyens critiques, et donc politiques. (...)
Aujourd’hui, le problème se situe du côté du marché du travail. Le problème est que ce que l’on appelle pudiquement « marché du travail » délocalise toute la production à l’étranger — et donc tous les emplois qualifiés. Il ne reste plus que les emplois sans aucune qualification, pour lesquels il n’y a même pas besoin d’aller à l’école, ou les emplois extrêmement qualifiés. (...)
Le problème n’est pas du côté de l’école, c’est celui du chômage et des difficultés d’insertion, alors que le pays regorge de richesses. Cette violence du capitalisme, les gens ne la dirigent pas contre les vrais responsables, mais contre l’école. La figure de l’enseignant devient celle de la raison pour laquelle mon fils ne réussit pas. Les enseignants deviennent des ennemis…mais on se trompe d’ennemi !