
Le procès de l’affaire dite de « Tarnac » s’est ouvert le 13 mars dernier au tribunal de grande instance de Paris. Il devrait se tenir jusqu’au 30 mars, juste avant le grand déménagement du tribunal aux Batignolles.
C’est une affaire vieille de dix ans née dans le gyron de la DCRI. On a vu les dernières années, les pratiques de ce service de renseignements, aujourd’hui devenu DGSI, continuer d’opérer dans de nombreux dossiers à charge contre des manifestants (...)
Serge Quadruppani s’est rendu au troisième et quatrième jour du procès, il nous raconte comment le tribunal se débat face à une défense qui s’est arrogé le droit à une égalité de parole.
Du procès de l’affaire dite « de Tarnac », on peut dire d’emblée une chose : jamais vu ça. On a beau avoir eu, sur plusieurs décennies et à de nombreuses reprises l’occasion d’assister aux audiences des cours d’assises et des chambres correctionnelles, on n’a jamais vu les rituels judiciaires à ce point-là perturbés par la pugnacité des accusés et de leurs défenseurs. (...)
Une expertise essentielle, qui aurait pu contredire la thèse de l’accusation, a été refusée comme la totalité, à une exception près, des dizaines d’expertises, auditions, demandes d’informations officiellement requises par la défense. Il n’y a pas à chercher plus loin : la raison pour laquelle des prévenus et leur avocat s’acharnent à interrompre le récit de MLP (Madame le président) : c’est qu’il a été écrit en écartant systématiquement tous les éléments qui viendraient le contredire.
Il y a eu, grâce au climat instauré les premiers jours par les prévenus, un moment particulièrement significatif, quand MLP a dit à Me Assous : « Si vous voulez diriger l’audience, vous n’avez qu’à prendre ma place », ce à quoi Assous a répondu en s’adressant au procureur : « mais alors vous prendrez bien la mienne ». Et tout la salle, procureur compris, de rigoler. Dans cette évocation fantasmatique d’une permutation carnavalesque des rôles, c’était toute la fausseté du discours de légitimation de la justice qui se donnait à voir. Comme on l’a déjà signalé à propos de l’affaire de la voiture brûlée Quai de Valmy, les procès reposent sur la fiction d’une égalité des armes entre tous les présents. Cette prétendue égalité, soutenue par une invocation récurrente par le juge des droits de la défense (ici comme au procès de Valmy), on ne peut en jouer le jeu qu’en feignant d’ignorer, le temps du procès, que certains disposent de la force d’armes nullement symboliques, et qu’ils peuvent envoyer les autres en prison. On ne peut aussi en jouer le jeu qu’en affectant de croire que seule compte la rationalité des arguments échangés, et non point les enjeux sociaux et politiques du procès. Ce n’est pas le moindre mérite de la défense dans le procès de Tarnac que de contrecarrer sans arrêt les faux semblants de cette égalité et de cette rationalité-là. (...)
« si vous voulez un procès de rupture, c’est votre droit ».
Le procès de rupture, qui consiste à se servir du tribunal comme tribune en ne se préoccupant nullement des conséquences punitives, a certes des vertus. Nos amis sont peut-être en train d’inventer autre chose : non pas l’affrontement direct, mais, grâce à une belle pugnacité et à une connaissance sans faille du dossier, la subversion, au fur et à mesure qu’il le déroule, du récit que le pouvoir judiciaire cherche à imposer. Non pas une rupture fracassante, mais une série de ruptures multiples qui lézardent et préparent l’effondrement général.