On est arrivé au bout du chemin de Notre-Dame-des-Landes. D’un chemin. Ce voyage nous apprend au moins ceci : cela vaut la peine de se battre.
Qu’elle a été longue et dure cette bataille ! Combien de souffrances, d’angoisses, de blessures, de manifestations, de réunions, de moments d’abattement… Mais aussi combien de moments lumineux, d’instants magiques, de forces retrouvées, de victoires inattendues, de rencontres et d’alliances miraculeuses… Et, au bout du chemin — on est tout étonné de l’avoir atteint —, cette victoire du bon sens et d’une lutte tenace.
Car ce n’est pas « le gouvernement qui décide », du haut d’on ne sait quel Olympe. C’est une décision qui prend acte de l’énergie d’une lutte collective inflexible et de l’analyse d’un dossier technique que les promoteurs de ce projet d’aéroport n’avaient jamais voulu ouvrir réellement.
Au demeurant, cette décision est sage, et l’on doit reconnaître à MM. Macron, Philippe et Hulot d’avoir agi intelligemment : en reprenant le dossier avec une médiation ouverte sur toutes les idées ; en prenant le temps du dialogue avec presque toutes les parties prenantes ; en annonçant une décision sans ambiguïté, et ne cédant pas aux injonctions de médias en furie qui réclamaient des matraques et du sang.
On peut aujourd’hui commencer une nouvelle histoire. Il faut que le mouvement d’opposition à l’aéroport se transforme en un mouvement de création d’un lieu pérenne et exemplaire. Et à court terme, il parait indispensable d’ouvrir la route dite « des chicanes » — une mince départementale traversant la zone sur trois kilomètres et demi — tant pour répondre au geste pacifique du gouvernement que pour tendre la main aux habitants des villages voisins de Notre-Dame-des-Landes.
Et il faut que le mouvement et les pouvoirs publics rentrent sereinement en discussion. Si on lit bien le discours du Premier ministre, on voit qu’il ouvre la porte à la création d’un nouveau droit sur la zone, qui pourrait rendre légaux les occupants qui ne le sont pas aujourd’hui. La formule d’une société foncière commune aux paysans et habitants de la zone, recevant une forme de concessions des terres qui appartiennent à l’État, est la voie de cette légalité. Souhaitons qu’elle soit empruntée par tous, dans un esprit loyal et avec cet espoir de créer une expérience nouvelle.
Mais au-delà de la situation propre de cette nouvelle Zone à imaginer de Notre-Dame-des-Landes, on peut tirer quelques enseignements de cette magnifique bataille.
D’abord, que l’on peut remporter des victoires ! (...)
On a tendance à l’oublier, tant la destruction du monde se poursuit et tant l’idéologie productiviste imprègne la culture, mais cela vaut la peine de se battre, parce qu’on peut remporter des victoires : Notre-Dame-des-Landes s’inscrit dans le fil de l’interdiction toute récente de la pêche électrique, de la victoire sur les OGM en France et en Europe, de l’empêchement de la production de gaz de schiste en France, ou de victoires plus discrètes, comme contre le mégacentre commercial de Val Tolosa, le centre Décathlon à Saint-Jean-de-Braye ou un stade inutile à Dunkerque.
Et pour remporter les victoires, il faut s’unir ! (...)
S’unir, une victoire, mais pour quoi ? Pas seulement pour des enjeux locaux, même s’ils sont essentiels et qu’ils sont à notre portée. Mais pour défendre un local qui est le miroir du global : la destruction du monde, le changement climatique, le ravage des écosystèmes, le démentiel gaspillage des terres, ce n’est pas dans les statistiques qu’ils se jouent, ce n’est pas sur « la planète » qui nous serait aussi étrangère que Mars, mais c’est ici, au village, à la porte de nos villes, là où on vit, là où l’on est. Ce qui a fait la force de Notre-Dame-des-Landes, c’est sa capacité de se transformer d’une lutte contre un projet local d’aéroport en une lutte « contre l’aéroport et son monde ».
Il y aurait encore tant à dire. Mais ceci : cette lutte a bouleversé des vies. Le plus souvent pour le mieux, à travers des souffrances. Je ne connais pas une personne impliquée dans ce mouvement qui n’en ait été transformée. Cela a été mon cas, puisque, censuré par le journal où je travaillais, je l’ai quitté pour pouvoir rester libre. (...)
Et puisqu’on ne peut tous les citer, saluons Michel Tarin, paysan, un des pionniers de cette lutte, et qui s’est battu jusqu’à son décès. Salut Michel, aujourd’hui, où que tu sois, tu vois, tu as gagné.