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One Ocean Summit : lettre ouverte au Président de la République
/Par Claire Nouvian, Fondatrice de l’association BLOOM pour la défense des océans et de la pêche artisanale Lauréate en 2018 du Prix Goldman pour l’environnement. Paris, le 9 février 2022
Article mis en ligne le 11 février 2022
dernière modification le 10 février 2022

Monsieur le Président,

Le sommet de l’océan que vous avez convoqué à Brest s’ouvre et l’association BLOOM, ardente défenseuse du milieu marin, n’y participera pas. Je voudrais ici vous dire pourquoi, à vous ainsi qu’aux Françaises et Français qui suivent et soutiennent nos actions. Notre décision s’inscrit dans une ligne de conduite dont la cohérence s’est imposée à nous en réponse à votre propre cohérence d’utilitariste de la nature, qui n’a pas cillé depuis que vous aviez commencé à en montrer la teneur, alors que vous n’étiez encore qu’un ministre classiquement extractiviste. Depuis, votre statut présidentiel n’a pas rééquilibré votre posture, au contraire. Vous avez utilisé la fonction suprême de l’État pour faire reculer la France de façon inattendue en matière de protection environnementale. La somme et l’étendue de vos actes vous font porter aujourd’hui une responsabilité inédite dans la destruction de l’environnement et de l’océan en particulier.

C’est pour cela que nous refusons de collaborer avec votre gouvernement. Parce que vous avez tué l’espoir. Vos prédécesseurs étaient globalement hostiles à l’écologie, mais une certaine flexibilité idéologique de principe assurait quand même l’existence, à l’intérieur de l’appareil d’État, de débats contradictoires permettant à des arbitrages d’être pris en faveur de la protection de la nature.

Avec vous, la flamme du « possible » en politique s’est éteinte. Vous avez appliqué de façon exagérément pyramidale vos convictions socio-économiques ultralibérales, avez protégé et augmenté les intérêts de vos fortunés bailleurs de fonds, et dans un mélange d’arrogance et de mépris pour les corps intermédiaires, les classes populaires et les défenseurs de l’environnement, n’avez laissé aucune marge d’interaction, d’accueil, de surprise ni même de respect. Vous avez piétiné jusqu’à la convention citoyenne pour le climat que vous aviez créée. (...)

Vous vous êtes dédit de la plupart de vos promesses et annonces : l’interdiction du glyphosate n’a jamais été mise en œuvre, la sortie promise de la France des énergies fossiles et votre loi hydrocarbures ont été assorties du renouvellement de dizaines de permis d’exploration. Heureusement, l’inaction climatique de votre gouvernement a été reconnue par la justice qui vous condamne désormais à agir pour respecter l’Accord de Paris.

A défaut d’être « champion de la planète », vous avez été champion des cadeaux faits aux lobbies. (...)

le pire reste à venir, car votre France (ce n’est pas la nôtre) a fait le choix de devenir l’un des principaux fers de lance d’un immense désastre environnemental que l’on peut encore éviter : l’exploitation des ressources minières dans le dernier espace sur terre que les humains n’ont pas encore détruit : les très grandes profondeurs marines, au-delà même de la portée des filets de pêche…

L’enjeu est colossal et il se décide actuellement. Sans aucune surprise, vous êtes du mauvais côté de la force. Votre position est si immensément honteuse que vous ne l’assumez pas encore pleinement publiquement alors qu’au sein de l’Autorité internationale des fonds marins, la France déploie sa force diplomatique pour que démarre dès que possible l’extraction de minerais des grandes profondeurs océaniques. (...)

En voulant ouvrir le grand bal du pillage mondial du plus grand bien commun de notre biosphère, vous mettez la France en position de porter une responsabilité historique dans la destruction de l’océan.

Les intérêts sectoriels, industriels et financiers, que vous soutenez et avez incorporés à la matrice de l’État incarnent le modèle économique qui a provoqué le péril climatique, la destruction des habitats naturels et la crise d’extinction du vivant à laquelle nous assistons, impuissants, angoissés et tristes.

Les faits parlent d’eux-mêmes : vous êtes un homme inadapté, un homme du passé, un homme dangereux. (...)

Tandis que vous nous assommez de fausses consultations, de fausses annonces, de fausses postures, de faux sommets, le monde se meurt et devient inhabitable, les machines continuent de ravager la terre, la mer et les conditions de survie de l’humanité. A cause de vous, nous venons de perdre cinq précieuses années, celles qui comptaient au centuple, celles sur lesquelles reposait notre destin commun.

Vous direz que je ne vous donne aucun crédit et vous avez raison. Pas le moindre. Je ne vois aucune raison objective -et encore moins intuitive- de croire que vous aurez un jour la volonté ou même la possibilité de changer : vos décisions ne vous appartiennent plus. Elles sont entre les mains des bailleurs de fonds qui financent vos campagnes. Face à la masse de faits objectifs qui accablent votre exercice du pouvoir, si vos électeurs veulent se bercer de l’illusion que libéralisme et écologie peuvent cohabiter, ils en porteront la responsabilité en même temps que nous en subirons collectivement les conséquences.

« La catastrophe, c’est quand les choses suivent leur cours », écrivait Walter Benjamin.

La catastrophe, c’est vous qui suivez votre cours et laissez dans votre sillage la ruine. (...)

Vous n’aurez pas une miette de notre légitimité et notre absence à vos sommets passés ou à venir symbolisera la chaise vide des espèces marines dévastées par les méthodes de pêche destructrices que vous soutenez, les pêcheurs artisans que les autorités publiques ont abandonnés à l’appétit insatiable des consortiums industriels, les grands fonds marins que vous promettez à la plus totale désolation, les citoyennes et les citoyens, écœurés mais prêts à croiser le fer avec l’idéologie que vous incarnez, jusqu’à ce que mort s’ensuive.