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le Monde Diplomatique
« On n’a plus le temps... »
Article mis en ligne le 16 octobre 2012
dernière modification le 14 octobre 2012

Ceux qui se désolent du manque d’attention à leur cause, à leur activité, se voient souvent opposer la même explication : « On n’a plus le temps. » On n’a plus le temps de se plonger dans un livre « trop long », de flâner dans une rue ou dans un musée, de regarder un film de plus de quatre-vingt-dix minutes. Ni celui de lire un article abordant autre chose qu’un sujet familier. Ni de militer ni de faire quoi que ce soit sans être aussitôt interrompu, partout, par un appel qui requiert d’urgence son attention ailleurs.

Pour une part, ce manque de temps découle de l’apparition de technologies qui ont permis de… gagner du temps (...)

Mais, simultanément, l’exigence de vitesse n’a cessé d’obérer l’emploi du temps de chacun, et le nombre de tâches à réaliser a explosé. Toujours connecté. Interdit de musarder. On n’a plus le temps (...)

Parfois, c’est aussi l’argent qui fait défaut : on n’a plus les moyens. (...)

Parmi d’autres, ces raisons expliquent la désaffection de la presse payante. Une fraction de ses anciens lecteurs l’abandonne à mesure que la fenêtre de papier ouverte sur le monde, l’attente du postier ou du kiosquier se métamorphosent en une contrainte de lecture supplémentaire dans un calendrier surchargé — et surtout s’il faut payer. Un des propriétaires de Free et du Monde, M. Xavier Niel, anticipe que les journaux auront disparu d’ici une génération. (...)

Les chiffres s’entêtent et confirment la réalité d’un décrochage. En Europe de l’Ouest et aux Etats-Unis, la diffusion des journaux a décliné de 17 % au cours des cinq dernières années. Et le recul se poursuit. En France, une période de fièvre électorale ne provoque plus aucun retour vers les kiosques ; de janvier à août 2012, les quotidiens généralistes ont ainsi accusé un reflux moyen de leurs ventes de 7,6 %par rapport à l’an précédent. (...)

depuis janvier de cette année, la diffusion du Monde diplomatique a baissé de 7,2 %. Le temps qui fait défaut, l’argent aussi, un certain découragement face à une crise qui se déploie ainsi que nous l’avons anticipé, bien avant les autres, mais à laquelle nous ne pouvons pas seuls apporter remède, une contestation de l’ordre économique et social qui peine à trouver des débouchés politiques : tout cela a contribué à notre recul. (...)

A quoi peut servir un journal ? A apprendre et à comprendre. A donner un peu de cohérence au fracas du monde là où d’autres empilent des informations. A penser posément ses combats, à identifier et faire connaître ceux qui les portent. A ne jamais rester solidaire d’un pouvoir au nom des références qu’il affiche sitôt que ses actions les démentent. A refuser le verrouillage identitaire d’un « choc des civilisations » oubliant que l’héritage de l’« Occident », c’est le sac du Palais d’été, la destruction de l’environnement, mais aussi le syndicalisme, l’écologie, le féminisme — la guerre d’Algérie et les « porteurs de valises ». Et que le « Sud », les pays émergents qui défont l’ordre colonial, englobe des forces religieuses moyenâgeuses, des oligarchies prédatrices, et des mouvements qui les combattent — le géant taïwanais Foxconn et les ouvriers de Shenzhen.

A quoi peut servir un journal ? En des temps de reculs et de résignations, à défricher les sentiers de nouveaux rapports sociaux, économiques, écologiques (4). A combattre les politiques austéritaires, à aiguillonner ou à tancer des social-démocraties sans souffle et sans sève. C’est, par exemple, dans ces colonnes que fut popularisée l’idée d’une taxe sur les transactions financières (5), puis celle d’un plafonnement des revenus (6). Parfois, un journal peut donc aussi rappeler que la presse n’a pas toujours partie liée avec les industriels et les marchands contre ceux qui entendent sauver la planète et changer le monde.

A l’évidence, l’existence d’un tel journal ne peut pas uniquement dépendre du travail de la petite équipe qui le produit, aussi enthousiaste soit-elle. Mais nous savons que nous pouvons compter sur vous. Ensemble, nous prendrons le temps qu’il faut.