Ils ont traversé de lourdes épreuves. À force de lutte, d’entraide et de complicité, ils ont sauvé leur usine. La Chapelle Darblay était la dernière de France à recycler 100 % du papier. Rencontre avec ces trois salariés, trois compères désormais liés.
« On avait la conviction qu’il fallait la sauver, cette putain d’usine. » L’espoir était infime, mais ils l’ont fait, à la sueur de leur front. Promise à la destruction, l’usine Chapelle Darblay, dernier site français à même de fabriquer du papier journal et d’emballage 100 % recyclé, vient d’être sauvée après 1 000 jours d’une lutte acharnée. Cette victoire, l’économie circulaire « made in France » la doit en grande partie à trois « Pap Chap », trois salariés qui ne voulaient pas voir disparaître les précieuses machines à papier de l’usine de Grand-Couronne : Julien Sénécal, Cyril Briffault et Arnaud Dauxerre.
Reporterre les a rencontrés auprès d’immenses machines, qui permettaient de recycler 480 000 tonnes de déchets papier et carton par an, l’équivalent du tri de 24 millions d’habitants (...)
depuis la fermeture de l’usine en 2020, ces géantes métalliques sont muettes. Les papiers et cartons sont enfouis, brûlés ou envoyés en Belgique et en Allemagne. « Un gâchis », déplore Arnaud Dauxerre. (...)
Et pourtant, par la grâce des mots de ces trois-là, la féerie opère : l’usine revit. (...)
« Dans la lutte, on était un peu comme le Bon, la Brute, et le Truand »
Perché sur les machines, le trio fleure la complicité. (...)
Tout a commencé en septembre 2019, quand le papetier finlandais United Paper Mills (UPM) a annoncé la cession de la papeterie, puis l’a fermée en 2020 après quatre-vingt-dix années de fabrication de papier journal. L’usine s’est tue et ses 217 salariés ont été priés de prendre leurs cliques, leurs claques, et de s’en aller faire un tour à Pôle emploi. (...)
« Une fermeture d’usine, ce n’est pas juste une page qui se tourne. Pour certains, c’est la vie sociale qui s’effondre, c’est la santé qui se délite, c’est l’équilibre familial qui part en vrille. » (...)
De cette blessure a jailli, chez le trio, une énergie décuplée pour sauver la Chapelle Darblay, retrouver des repreneurs et contrer le déclin industriel de la rive gauche de Rouen, qui a perdu nombre de ses fleurons industriels et les emplois qui allaient avec. « On n’a jamais autant travaillé : on a combattu pendant 1 000 jours, dont une bonne partie dans une usine vide, explique Arnaud Dauxerre. On a mobilisé tous les acteurs possibles et imaginables pour construire un projet viable et convaincre des acteurs industriels de monter dans le bateau. » (...)
Les trois salariés se sont alors heurtés à la dureté du monde politico-économique. (...)
Un sauvetage réussi
Il y a aussi eu la bonne fortune, venue récompenser leurs efforts : l’investissement de Philippe Martinez, « qui nous a permis de continuer d’exister quand les tractations pour l’usine se déroulaient au plus haut sommet de l’État » ou, alors que le ministère de l’Économie ne répondait plus à leurs appels désespérés, ce jour où des collectifs ouvriers et écolos, Sauvons la Chapelle Darblay et Plus jamais ça !, étaient parvenus à mobiliser plus d’une centaine de personnes. Elles avaient obtenu un engagement ferme du gouvernement à maintenir les activités de la papeterie.
Au bout du tunnel, la lumière est apparue au pied du sapin, lors des dernières fêtes de Noël. « La métropole de Rouen, dont le président Nicolas Mayer-Rossignol s’est investi pleinement dans la sauvegarde du site, avait fixé un ultimatum pour que l’attelage industriel prenne définitivement. Après moult rebonds, un accord a été trouvé », racontent les compères. Ensuite, les bonnes nouvelles se sont enchaînées : le 11 février, la métropole de Rouen a annoncé la préemption du site estimée à environ 6 millions d’euros, évitant ainsi son rachat par un groupe qui souhaitait produire de l’hydrogène. Le 1er mars, pour maintenir l’activité de recyclage papier-carton, les élus métropolitains ont voté à l’unanimité une enveloppe de 3,6 millions d’euros pour racheter les équipements de l’usine — machines, pièces de rechange, stocks, etc. (...)
L’opération a finalement abouti début mai. L’intercommunalité a alors officialisé le rachat à UPM ainsi que la vente, au même prix, au consortium d’entreprises Veolia/Fibre excellence. « Un chemin industriel important reste à faire avant le redémarrage du site, mais c’est une avancée remarquable », se réjouit Arnaud Dauxerre. (...)
L’écrin sauvé, l’activité va pouvoir être relancée autour de la production de papier d’emballage 100 % recyclé, sous la « bienveillante vigilance », comme le formule Arnaud, des « Pap Chap ». Avant, peut-être, de s’élargir à la ouate de cellulose (un isolant) et, comme le souhaitent des salariés, du papier journal pour les médias français. « Ce serait le rêve ! dit Arnaud Dauxerre. Nous avons toujours, chevillée au corps, l’idée de réemployer toutes les machines du site. » (...)
Pour célébrer le sauvetage, salariés, élus et activistes, dont les représentants de Plus jamais ça !, ont prévu de les rejoindre sur place le 11 juin.