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Nous refusons que la recherche publique cautionne de grands groupes chimiques
Article mis en ligne le 27 novembre 2020

Les auteurs de cette tribune interpellent M. Mauguin, pédégé de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, au sujet de la participation de l’Inrae à un colloque sur la chimie et l’agriculture durable où les industriels sont surreprésentés. Un cas d’école d’instrumentalisation de la science, soulignent-ils, préjudiciable à l’intérêt général et à l’information de la jeunesse sur la crise écologique.

Monsieur Mauguin,

Le mercredi 4 novembre 2020, à Paris, la Fondation de la Maison de la chimie organisait un colloque intitulé Chimie et agriculture durable : un partenariat en constante évolution. [Le colloque a été repoussé en raison de la crise sanitaire mais devrait avoir lieu avec un programme inchangé.] L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) donne une caution scientifique à cet événement par la participation de son directeur scientifique environnement.

Pourtant, ce colloque nous apparaît comme un cas d’école de manipulation de la démarche scientifique à des fins d’influence. Nous nous adressons à vous en tant que pédégé d’un institut public officiellement dédié à « la science pour la vie, l’humain, la terre », pour vous demander d’annuler la participation de l’Inrae à cet événement. La menace d’instrumentalisation de la réputation de l’Inrae à des fins d’intérêts privés est bien réelle, intérêts privés allant dans le sens d’une aggravation des crises écologique et climatique que l’Institut prétend combattre. Nous vous demandons également qu’une politique institutionnelle explicite soit mise en œuvre pour, à l’avenir, faire face à ce type d’instrumentalisation.
Selon le programme du colloque, tout serait soluble dans la chimie

Le programme du colloque pose en effet deux problèmes majeurs, l’un scientifique, l’autre éthique. Le premier réside dans l’inadéquation entre le contenu du programme et l’objectif affiché de la journée. Un manque de hauteur sur les questions en jeu y est patent, et ce, dès les premières lignes de présentation du colloque. Il y est question de l’urgence à développer une agriculture « raisonnée » : ce vocable, apparu au milieu des années 1990 comme réponse des industriels et de la FNSEA à la dénonciation des pollutions d’origine agricole, a été mis en évidence comme visant à promouvoir une agriculture productiviste et utilisatrice de pesticides.

L’objectif de « produire plus et mieux » est affirmé sans être discuté, alors que de plus en plus de voix prônent des approches englobant l’ensemble du système alimentaire et non la seule production, et appellent avant tout à réduire les gaspillages et la surconsommation alimentaires, en premier lieu de produits animaux. (...)

Surreprésentation des industriels de la chimie ; absence des associations environnementales et de consommateurs (...)

C’est l’idéal de vérité publique qui est détourné

Cette description des intervenants révèle un second problème plus grave, d’ordre éthique : une « manipulation de l’autorité de la science à des fins d’influence », telle qu’analysée dans Les Gardiens de la raison, (La Découverte, 2020) par Stéphane Foucart, Stéphane Horel et Sylvain Laurens . « La stratégie des marchands de pétrole, de plastique, de pesticides et d’alcool consiste désormais à dire ce qu’est la “bonne” science, constatent les auteur.e.s. Nous assistons à un détournement des logiques mêmes de fonctionnement d’un espace public reposant sur un idéal de vérité. » (...)

la Fondation de la Maison de la chimie affirme que « ce colloque est ouvert à un large public avec une attention particulière aux lycéens et à leurs enseignants ». La conférence sera diffusée en direct sur le site Mediachimie, dédié à « mieux transmettre les connaissances des chimistes d’aujourd’hui aux générations futures ». (...)

Sur ce site, nous pouvons trouver en replay une conférence de 2015 sur le changement climatique du climatosceptique notoire Vincent Courtillot. N’est-ce pas là une tentative de détourner la jeune génération, qui s’est saisie depuis quelques années de la question de la crise environnementale et qui réclame un changement drastique des politiques publiques, notamment pour la préservation de la biodiversité ? Conflits d’intérêts, surreprésentation des industriels, volonté pédagogique : il semble bel et bien que tous les ingrédients de la « tromperie » décrite dans Les Gardiens de la raison soient ici rassemblés.

Nous, signataires, ne sommes pas et ne voulons pas être les « gardiens de la raison », nous sommes juste des scientifiques connaissant tous et toutes les difficultés à essayer de se rapprocher de la vérité, et l’impérieuse nécessité d’un libre et honnête débat contradictoire pour y parvenir. (...)

ous vous appelons à vous saisir de ce sujet en tant que pédégé de l’Inrae pour défendre les valeurs de service public que se doit de porter cet institut. Selon nous, les institutions publiques à vocation scientifique ont la mission essentielle de garantir l’absence de toute collusion entre la recherche académique et des intérêts privés, collusion qui pourrait se faire au détriment de l’intérêt général.