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Nous avons tout industrialisé, maintenant il faut écologiser
Hubert Védrine, ancien ministre socialiste des Affaires étrangères, est l’auteur de Comptes à Rebours (Éditions Fayard, 2018).
Article mis en ligne le 27 mars 2019
dernière modification le 25 mars 2019

Comment faire basculer le système ? Pour l’auteur de cette tribune, il faut « alarmer, sans paniquer » et la naissance d’un « mouvement d’opinion inarrêtable » imposera, in fine, la mutation écologique.

J’ai toujours aimé la nature : la montagne, la campagne, les forêts, les espaces vierges et les animaux. Avant que Nature meure [1] de Jean Dorst, paru en 1965 (!) m’avait impressionné. Et aujourd’hui, on en est là, il ne s’agit même pas de « sauver la planète » comme on le répète bêtement, (elle nous survivrait !) mais de préserver la vie sur la planète. À deux ou trois générations de distance, ce n’est pas assuré.

Beaucoup ne veulent pas le voir. Mais les preuves sont là. Face à la dégradation accélérée du climat et à l’effondrement de la biodiversité – par surpopulation, hyper productivisme, artificialisation, recours excessif aux énergies carbonées et à la chimie, accumulation de déchets – la seule solution est de tout « écologiser ». Comme on a dit « industrialiser ». Écologiser l’agriculture, l’industrie, la chimie, l’énergie décarbonée, la construction, les transports – voitures, avions, navires. Course de vitesse !

Grâce à l’information et à la pédagogie, l’écologisation doit devenir un impératif vital (...)

Les anticipations sont tellement effrayantes que cela suscite encore beaucoup de déni ou de scepticisme, sur fond d’ignorance écologique et économique, entrecoupé de moments de panique brefs et stériles. Et beaucoup de résistances quand on prétend obliger des gens qui n’y sont pour rien à changer du jour au lendemain de mode de production ou de vie, d’engrais, de désherbants, d’habitudes alimentaires ou de mode de transport. Pire encore quand on prétend les punir, les taxer ou interdire, alors qu’ils n’ont pas encore de solution de remplacement. D’où beaucoup de rébellions, d’énergie gaspillée en batailles inutiles et perdues, sur fond, en France, de manichéisme – les bons et les méchants –, de masochisme affolé alors que nous sommes, grâce au nucléaire, les moins émetteurs de CO2 pour produire de l’électricité. Ce qui ne nous empêche pas d’avoir à métamorphoser notre agriculture, ce qui a commencé.

Alors ? Si on ne peut pas tout réglementer dans nos démocraties protestataires, que faire ? On va rêver – ou cauchemarder – à une dictature écologique mondiale ? Non. Il faut créer, d’abord en Europe, par une vague d’information et de pédagogie nouvelle sans précédent, fondée sur un langage mobilisateur non agressif, une dynamique, plus forte que toutes les autres, une hégémonie culturelle à la Gramsci, faisant de l’écologisation l’impératif vital. C’est possible. Il faut faire se lever un mouvement d’opinion inarrêtable, impliquant et entraînant tous les acteurs, du simple individu au chef d’État et aux chefs d’entreprise, en passant par tous les acteurs publics et privés, dans leurs actes quotidiens comme dans leurs décisions stratégiques. Un mouvement puissant capable de souplesse, de patience et de compromis pragmatique dès lors que le cap est gardé. Cela déclenchera une course agricole, industrielle, énergétique, urbanistique, à la « compétitivité » écologique, plus efficace que la menace ou des fiscalités punitives (elles doivent être plutôt incitatives) et un basculement – comme au judo – de l’ensemble du système.
Cette mutation écologique va susciter des décennies d’inventions scientifiques et technologiques (...)

Un « Haut-conseil des générations futures » favoriserait cette transition en signalant chaque année les avancées et les reculs. Et un vice-premier ministre chargé de l’écologisation stimulerait tous ses collègues.

Mais il faut être conscient que le cœur de la bataille se passe ailleurs dans le monde – et c’est frustrant pour de jeunes Européens mobilisés. (...)

Mais nous ne gouvernons pas, ou plus, le monde ! Et nous n’allons pas faire la révolution écologique et sociale tout seuls, dans notre coin ! Cela ne tiendrait pas. Comment agir ? En saisissant toutes les organisations susceptibles de servir de cadres à des engagements internationaux (...)

Si on arrivait en plus à évaluer économiquement la valeur patrimoniale de la nature (air pur, eau potable, forêts, océan non pollué, terres vierges) et à partir de là à concevoir un PIB /E (un PIB écologique) qui intégrerait dans la formation des prix l’atteinte portée au patrimoine naturel, alors que le PIB actuel, très fruste, ne mesure que les flux marchands, cela orienterait dans le bon sens des milliards de décisions économiques prises aveuglément chaque jour, plus encore qu’une taxe carbone, indispensable en attendant, et cela mériterait le prix Nobel d’économie ! (...)