
C’est par une conférence de presse que s’est clôturée cette 4e session publique de la Commission pour la Vérité sur la dette publique. L’occasion pour les membres de présenter un rapport qui explique en quoi le mémorandum d’août 2015 et l’accord de prêt de 86 milliards d’euros qui lui est attaché sont illégitimes, illégaux, odieux et insoutenable. Ce fut aussi le moment pour la Commission d’affirmer sa détermination à poursuivre son travail dans les semaines et les mois à venir et ce sous quelque statut que ce soit.
Un large panel s’est ainsi présenté devant les journalistes afin de développer les preuves d’irrégularités de ce troisième mémorandum dans toutes les matières couvertes par les experts de la Commission. C’est d’abord la question du référendum du 5 juillet qui a été abordée. Les Grecs ont en effet été invités à cette date à se prononcer sur deux documents précis. Un premier qui attestait de la soutenabilité de la dette souveraine grecque et un second découlant de cette attestation et proposant une série de mesures censées, selon l’expression consacrée, assainir la situation du pays. Comme on le sait les Grecs ont largement rejeté ces deux textes. Or, comme l’a rappelé le professeur de droit Illias Bantekas, la Constitution grecque stipule que « tout acte doit être fait au service des citoyens ». Le référendum a donc une valeur contraignante à laquelle le gouvernement est tenu de se soumettre. En ne le faisant pas, il se place dans l’illégalité.
Au-delà de cette incontestable démonstration le professeur de droit, effaré par sa lecture du mémorandum, s’interroge : « La question qui se pose est : quel est le rôle de l’État ? En droit, la réponse est claire : l’État doit agir en faveur de la protection du peuple. Or, aujourd’hui, il est devenu un comptable qui applique une gestion comme un responsable de grand magasin. Le mémorandum est frappant sur ce point car on a le sentiment de lire un document de comptabilité avec un actif et un passif ». D’aucuns rétorqueront peut-être à monsieur Bantekas que cette position de technicien se justifie lorsque le bateau prend l’eau et qu’il faut parfois faire des sacrifices pour redresser la barre.
"Il n’y a aucune raison que l’application des mêmes recettes donne un résultat différent."
C’est à cet argument que Michel Husson, économiste, a tordu le cou dans une implacable démonstration. Comme il l’a très bien rappelé, en effet, les deux premiers mémorandums ont totalement échoué à relever le pays sur le plan économique. Il n’y a pour lui aucune raison que l’application des mêmes recettes donne un résultat différent. Ainsi le mémorandum repose une fois de plus, aux dires de l’économiste, sur deux « paris fous ». (...)
Cephas Lumina, l’ancien expert de l’ONU sur la dette, qui a pour sa part l’expérience de 30 années d’ajustements structurels dans les pays en développement, s’est interrogé sur cette impasse de l’approche techniciste : « combien de temps vont-ils continuer à faire semblant de ne pas comprendre que partout où ces politiques ont été appliquées, elles ont échoué ? ». Tandis qu’une résolution |1| de l’ONU proposant la mise en place d’un cadre juridique international sur la question des restructurations de dettes souveraines vient d’être largement adoptée, le professeur de droit constate amèrement que les grandes puissances telles que les États-Unis et l’UE s’y sont une fois de plus opposées (...)
Il n’en reste pas moins que la Commission encourage les efforts faits pour la mise en place de ce cadre juridique et même y participe. En effet, Éric Toussaint a rapporté hier qu’il avait été invité par la CNUCED |2| pour discuter des améliorations à apporter à cette résolution. Le coordinateur scientifique de la Commission a donc proposé devant les représentants de plus de 100 pays, d’ajouter trois principes aux neuf |3| principes déjà existants : un 10e principe qui oblige tout État qui souscrit à cette résolution à réaliser un audit de sa dette avec participation citoyenne afin d’identifier les éventuelles dettes illégales, illégitimes, odieuses et insoutenables |4| ; un 11e principe qui stipule que si, au bout d’une durée raisonnable de négociation, aucun accord n’a été trouvé entre créancier et débiteur, ce dernier est en droit de recourir à un moratoire sur sa dette ; enfin un 12e principe qui interdit la transformation de dettes privées en dettes publiques pour ne pas reproduire la catastrophique expérience de la crise financière de 2007-2008. (...)
l’ex-ministre des finances équatorien a conclu par une note d’espoir en illustrant le cas de son pays. Car c’est lui qui était aux commandes des finances au moment de la suspension de paiements de la dette extérieure de son pays en 2008. Et il a rappelé qu’à cette époque on proférait exactement les mêmes menaces que celles qu’on entend aujourd’hui au sujet de la Grèce. « Mais nous l’avons tout de même fait et aujourd’hui mon pays n’est pas en faillite, il a accès aux marchés financiers et il n’a pas fait peser le poids d’une dette illégitime sur les épaules du peuple » a-t-il déclaré, rappelant pour conclure que : « l’on fait croire aujourd’hui aux Grecs que le seul chemin qui peut être suivi est celui qui mène au précipice. Mais il y a toujours, absolument toujours, un chemin alternatif ».