
En France, violence populaire et violence d’État semblent s’opposer catégoriquement. Pourtant, comme l’explique l’autrice de cette tribune, notre histoire est ambivalente : elle s’est construite pour partie sur des violences populaires, ensuite légitimées et même commémorées.
Mathilde Larrère est maîtresse de conférence en histoire contemporaine, spécialiste de la citoyenneté, des révolutions et du maintien de l’ordre.
Quand un journal titre sur la violence d’une journée de manifestation, il y a de fortes chances qu’il s’agisse de dénoncer le nombre de vitrines brisées par les manifestants. Il y a un évident différentiel de traitement entre ce qu’on pourra appeler la « violence populaire » et la « violence d’État » (exercée par ses forces de l’ordre, ce qui n’est cependant qu’un des aspects de la violence d’État). Violence populaire et violence d’État n’ont pas les mêmes acteurs, pas les mêmes armes, pas non plus les mêmes cibles. Surtout, seule la violence d’État peut être légale quand la violence du peuple est toujours du ressort de l’illégalité.
Reste que les choses se compliquent quand on passe de la légalité à la légitimité. Car, si l’État tente de faire valoir le monopole de la violence légitime, les mouvements sociaux qui ont recours à la violence peuvent eux aussi arguer de sa légitimité.
Ce que nous apprend l’histoire de l’ordre et du désordre, de la violence légale et légitime et de ses monopoles contestés, c’est combien les frontières ont pu être brouillées sur ces questions, et combien nous héritons de ces brouillages.
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Au lendemain de l’acte III des Gilets jaunes, un graffiti réagissait au concert de dénonciations contre les dégradations de l’Arc de triomphe : « 14 juillet 1789, des casseurs s’en prennent à un monument historique. » Et c’est bien là l’ambivalence de notre histoire, qui s’est bâtie pour partie sur des violences populaires, ensuite légitimées et même commémorées. Reste que le déficit de démocratie dans notre régime comme dans d’autres fragilise l’argument par lequel l’État a depuis 1848 justifié son monopole de la violence. Chaque crise démocratique tend ainsi à réveiller les soulèvements violents, non seulement parce qu’elle en est une des causes, mais aussi parce qu’elle permet de penser la légitimité du recours à la force.