
Lancé il y a plus de trois semaines, le mouvement du 15 mai est bien vivant ! Si le campement de Puerta del Sol est temporaire, le mouvement des indignés commence à s’ancrer dans les quartiers de Madrid. Le présent s’organise, ainsi que le futur
En Espagne, les jeunes ont pris l’habitude d’occuper les espaces publics. De grands rassemblements nocturnes sont régulièrement organisés pour boire et fumer dans la rue, de manière souvent excessive. C’est la pratique dite du botellón, qui est source de conflits de voisinage et de clivages générationnels. Or, les indignés de Puerta del Sol tiennent à se différencier clairement de cette forme d’occupation de l’espace public, en annonçant à l’entrée de leur campement : “No es un botellón, es la revolución !” (« Ce n’est pas un botellón, c’est la révolution ! »). D’ailleurs, ce ne sont pas que des jeunes, même si ces derniers sont fortement impliqués dans le mouvement. On retrouve une grande diversité générationnelle, comme c’est souvent le cas dans les villes espagnoles à l’occasion d’événements festifs. Mais là, il n’est pas tellement question de faire la fête, comme l’exprime cette jeune femme à l’assemblée populaire de Madrid, le dimanche 29 mai, en s’opposant à la proposition d’organiser une manifestation festive au moment de lever le camp : « On n’a rien à célébrer, on est vraiment dans la merde, la seule manière de continuer c’est de lutter… Mais qu’est-ce qu’on pourrait bien fêter ? ».(...)
Sans aucun doute, le mouvement du 15 mai (« Movimiento 15-M ») constitue un tournant. Les manifestants de Puerta del Sol – qui s’auto-désignent les « indignés » (indignados), un terme emprunté au pamphlet de Stéphane Hessel Indignez-vous ! – ne savent pas exactement qui est à l’origine de cet appel, largement diffusé par les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter [2]. Mais le fait qu’il ne vienne ni des syndicats ni des partis politiques traditionnels les a incités à se rendre dans la rue(...)
Ce qui nous unit, c’est une volonté de changement ». Pas de logo ni de banderole partisane donc sur le campement. Seulement une multitude de petites pancartes improvisées et écrites à la main, qui énoncent, par exemple, que « nous ne sommes pas anti-système, c’est le système qui anti-nous ».
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Les Madrilènes expérimentent ainsi, depuis plusieurs semaines, la démocratie directe au quotidien. C’est le retour à l’agora athénienne, que les théoriciens de la démocratie disaient pourtant inadaptée aux sociétés modernes. Mais les Espagnols sont en train de démontrer qu’il est possible de prendre des décisions à des centaines, voire des milliers de personnes, assises sur le bitume des places publiques, dans les sociétés démocratiques du 21e siècle.
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« On n’est pas pressé, ça fait des années qu’on attend ça, on peut bien supporter une petite heure de plus ». Les réactions sont aussi stoïques quand les conditions climatiques pourraient perturber l’assemblée de coordination des groupes de travail, le vendredi 28 mai : « Qu’est-ce qu’on fait avec la pluie ? … On la supporte ! ».
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L’enjeu est également celui de la traduction politique du mouvement. Depuis plus de trois semaines, les indignés débattent de ce qui les rassemble. Il s’agit, sans aucun doute, d’une contestation du système politique et économique actuel.
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Au-delà de l’indignation et de la contestation, les débats au sein des groupes de travail, des assemblées de quartier et des assemblées générales visent à formuler des propositions alternatives au système actuel.
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rapidement, une question fondamentale se pose : s’agit-il d’améliorer le système politique et économique en vigueur ou de poser les bases d’un nouveau système radicalement différent ? La division du groupe de travail sur la politique en deux sous-groupes témoigne de ce dilemme.
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Deux semaines après le début du campement Puerta del Sol, le mouvement prend un tournant. Il s’agit de déplacer la dynamique des assemblées au niveau des quartiers(...)
La décentralisation du mouvement présente un certain nombre d’avantages. Enraciner la dynamique au niveau territorial, en la détachant de l’avenir forcément temporaire du campement, permet d’assurer sa poursuite(...)
"...Une chose est claire : le mouvement continue, indépendamment de savoir si le campement continue ou non ! »
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Ces dernières semaines, si le monde avait les yeux tournés vers Puerta del Sol, Madrid avait également les yeux tournés vers le monde. Une commission du campement s’occupe d’ailleurs des relations avec l’extérieur. D’abord, vers les autres villes d’Espagne. Depuis la tentative d’évacuation manu militari du camp de Plaza Catalunya, le 27 mai, les soutiens aux Barcelonais se sont multipliés. Au regard des éternelles rivalités entre Madrid et Barcelone, certains slogans font sourire : « Nous sommes tous de Barcelone ! » enchantaient en cœur des milliers de Madrilènes lors de la manifestation de soutien le vendredi soir, en agitant « des fleurs pour s’opposer aux armes ».(...)
Les indignés de Puerta del Sol sont également attentifs à ce qu’il se passe dans d’autres pays. Dans les débats, on fait souvent référence aux révolutions arabes et notamment tunisienne, aux référendums par lesquels les Islandais ont refusé de payer pour les banquiers, ou encore aux manifestations contre la réforme des retraites cet automne en France.
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Les Madrilènes, qui disent s’être « inspirés » de ces luttes sociales, sont ravis d’en inspirer d’autres à leur tour. Les assemblées générales sont ainsi souvent interrompues par des communiqués faisant état de la diffusion du mouvement à l’étranger.
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Dans quelle mesure ce mouvement social est-il exportable ailleurs ? Certains motifs d’indignation sont certes spécifiques à la situation socio-économique de l’Espagne, notamment au fort taux de chômage et aux problèmes de logement rencontrés par les jeunes. Comme le résume un chômeur d’une vingtaine d’années, en pleine discussion avec une femme de trente ans son aînée, à l’un des stands du campement : « De toute façon, on n’a rien à perdre ! ». En outre, l’histoire politique récente de l’Espagne n’est pas sans lien avec cette révolte sous forme de cocotte-minute.(...)
Malgré ces spécificités espagnoles, nombreux sont les raisins de la colère que pourraient partager les peuples soumis à la crise économique et aux politiques néolibérales, en Europe et au-delà.
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