
Au début de l’été, les femmes de ménage de l’hôpital de Valenciennes se sont mises en grève. Dans leur viseur, le montant dérisoire de la prime « Covid » promise par Onet, l’entreprise qui les emploie pour le compte de l’établissement public. Cinq mois après leur mobilisation, à quoi ressemble leur quotidien ?
« Nos vies valent 150 € ». Accrochée à la rubalise entre deux arbres, au beau milieu d’un parterre de rhododendron, la banderole a attiré les caméras et les micros des médias. La scène se passe fin juin, devant l’hôpital de Valenciennes (Nord). Autour du calicot, des dizaines de femmes, quelques hommes ; des chasubles « CGT » et des chariots de nettoyage siglés « Onet » : un piquet de grève tenu par les salariées chargées du nettoyage du centre hospitalier. (...)
À Valenciennes comme dans beaucoup d’hôpitaux de France, ce ne sont plus les ASH, ces « agents de service hospitalier » de la fonction publique, qui font la majeure partie du ménage, mais les employées d’une entreprise privée. Et à Valenciennes, comme dans beaucoup d’hôpitaux de France, c’est Onet qui a remporté le marché. Si le nom de l’entreprise est si souvent cité dans la presse, ce n’est pas pour sa qualité de leader du secteur de la propreté, mais plutôt parce que chez Onet, les grèves se suivent et se ressemblent.
En mars dernier, ce sont les personnes en charge du nettoyage du CHU de Nantes qui ont débrayé. En octobre, c’étaient les nettoyeurs et nettoyeuses des chaînes de production d’Airbus à Toulouse. Quant aux femmes de ménage de l’hôtel parisien Ibis Batignolles, en grève depuis juillet 2019, elles n’ont toujours pas repris le travail à l’heure où ces lignes sont écrites.
À Valenciennes comme ailleurs donc, si les salariées d’Onet se sont mobilisées, c’est avant tout pour défendre leur droit au respect.
Un zéro de moins
Au centre hospitalier, en cette fin juin, c’est la décrue : la première vague de l’épidémie de Covid-19 est passée et l’heure est aux comptes. Pour le personnel soignant, la prime a été fixée à 1 500 €. Pour les employées d’Onet, une rallonge est également prévue. Mais avec un zéro de moins : 150 € donc qui, cinq mois après, ne passent toujours pas... (...)
au premier round des négociations avec l’entreprise, les choses ne se sont pas passées comme espéré : « Je suis entrée dans le bureau et le directeur d’Onet m’a dit : “On a quelque chose pour vous, vous n’allez pas en croire vos yeux !” Résultat des courses : on nous a sorti un Pass’ piscine et un bon essence de 30 €. » Autant dire que les chariots de Mélanie Dinato et de ses collègues n’ont pas recommencé à arpenter les couloirs de l’hôpital l’après-midi même.
Les grévistes ont finalement arraché de haute lutte 400 €, assortis de 100 € supplémentaires versés en trois fois. D’après Mélanie Dinato, « ces 100 €, c’était seulement si on ne bougeait pas, si on ne faisait plus grève » [2].
Manque de moyens humains
« Pour des nanas comme nous, beaucoup de mamans célibataires avec des petits salaires, sept jours de grève, c’est balèze ! », s’enthousiasme la syndicaliste avec fierté. Avant de tempérer : « Mais dans le porte-monnaie, ça n’a pas changé grand-chose : les jours de grève n’ont pas été payés. » Quant à la reconnaissance et au confort de travail, ni l’une ni l’autre ne semblent avoir progressé.
Sans compter que début novembre, les cadences se sont à nouveau emballées (...)
Gants trop grands et mise en danger (...)
« Je nettoie partout où passe le Covid. » Pour elle, la plupart des journées de travail commencent par un combat : « C’est rare que j’arrive le matin et qu’il y ait tout ce qu’il faut. Une fois ce sont des gants qui manquent ou qui ne sont pas à la bonne taille, la fois d’après c’est un produit qui n’est pas là. » Séverine Ladrière relate aussi que si les femmes de ménage chargées des chambres étaient correctement équipées au début de la crise sanitaire, celles qui s’occupent des bureaux des cadres et des secrétaires ont dû batailler pour obtenir des masques : « Onet nous disait que ce n’était pas nécessaire. Ça a duré parce que l’entreprise et l’hôpital se renvoyaient la balle pour savoir qui devait fournir le matériel. »
Autre défaillance du système de sous-traitance sur laquelle la crise sanitaire a mis un coup de projecteur : la transmission des informations. Entre le donneur d’ordres et l’entreprise, le canal semble parfois brouillé. (...)
Un caillou dans la chaussure d’Onet
En revanche, s’il y a une ligne sur laquelle le courant passe, c’est bien celle qui relie les employées d’Onet : « Cette grève n’a pas changé le fond des choses, mais elle nous a permis de créer de la solidarité avec des salariées d’Onet dans d’autres hôpitaux qui étaient en grève pour les mêmes raisons. Avec les filles de Montpellier par exemple, on s’appelait pour se dire ce que chacune avait obtenu et on demandait les mêmes avantages. » Séverine Ladrière conclut : « Même entre nous ça a créé des liens : comme certaines commencent à 5 heures tandis que d’autres finissent tard le soir, avant la grève on ne se connaissait pas toutes. Aujourd’hui, c’est bien différent... »