
Mannequin vedette à Téhéran, cette Iranienne de 29 ans demande l’asile en France après avoir été menacée d’emprisonnement et de coups de fouet dans son pays. Elle nous raconte son histoire.
Le regard aussi noir que déterminé, Negzzia n’a qu’un rêve : devenir mannequin à Paris. Cette Iranienne de 29 ans l’a touché du doigt quelques instants, lors d’un défilé parisien auquel elle a pu assister en octobre dernier, à peine débarquée dans la capitale. Mais depuis, sa vie tient plus du cauchemar que du conte de fées.
Pour comprendre l’histoire de la jeune femme, il faut toutefois remonter le temps… et partir à quelques milliers de kilomètres de Paris. Née à Téhéran, Negzzia -un nom de scène pour préserver son identité- est une personnalité dans son pays, une icône suivie par 116 000 personnes sur les réseaux sociaux. D’abord photographe de métier, elle est passée de l’autre côté de l’objectif. Elle est ainsi devenue un mannequin reconnu pour plusieurs grandes marques iraniennes, ce qui lui a permis de multiplier les photos publicitaires et artistiques au pays des mollahs.
Mais Neggzia, qui se vit autant artiste que top-modèle, a poussé un peu loin son art dans un pays où la nudité des femmes est un tabou absolu, en réalisant plusieurs photos dénudées. Un choix qui lui a coûté cher. Le milieu de la mode est extrêmement surveillé en Iran et est régulièrement l’objet de « descentes » contre les photographes ainsi que les mannequins qui sont alors jetés en prison sans ménagements, voire disparaissent quelques mois. La police religieuse appelée Gasht e Ershad, la « Police de la Vertu » en persan, est à la manœuvre. (...)
Face à la menace de plus en plus imminente, celle qui avait pris la précaution de préserver le plus possible son anonymat fuit pourtant en urgence pour Istanbul avec quelques sous en poche. Son père est lui aussi obligé de fuir la capitale à la hâte. (...)
En plein spleen, sur les rivages du Bosphore, c’est une chanson de Jacques Brel, « Ne me quitte pas », qu’elle écoute depuis son enfance, qui lui donne l’idée d’une nouvelle porte de sortie : La France, et Paris, la ville lumière et surtout la capitale de la mode. Un ami lui propose même de la mettre en contact avec une agence parisienne, et lui fait miroiter un logement parisien. Elle n’a qu’à obtenir un visa, lui dit-il. Mais ce coup de main n’est pas gratuit : en échange, cet « ami » lui demande une compensation d’ordre sexuel. Negzzia refuse catégoriquement cette proposition indécente mais décide tout de même de s’envoler pour la France, croyant à l’espoir d’une nouvelle vie.
« Je n’avais aucun point de chute. Le taxi m’a amenée dans un hôtel. Je suis allé à un catwalk (défilé sur un podium, NDLR) où un homme de la sécurité m’a laissé entrer. Et là, j’ai vu ce que je voulais faire depuis tant d’années, mon rêve, souffle l’Iranienne, au bord des larmes. J’ai su immédiatement que je voulais demander l’asile ici. » Le lendemain, elle commence donc à remplir les formalités administratives pour s’installer en France. Elle découvre rapidement le parcours du combattant des demandeurs d’asile, à la préfecture de Nanterre (Hauts-de-Seine). Les heures d’attente et les petites humiliations. Mais, habitée par son désir d’avenir, elle ne baisse pas les bras. Le 13 novembre 2018, sa demande d’asile est finalement enregistrée auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
« Je ne suis pas venue à Paris pour devenir une pute »
Mais entre-temps, la situation de Negzzia est devenue plus que précaire. Les quelques économies de la jeune femme ont fondu comme neige au soleil, et elle se retrouve à la rue. Une nouvelle fois, les prédateurs ne tardent pas à arriver. (...)
Je me suis enfuie. J’étais détruite par toutes ces sollicitations. J’ai même été tenté de me tuer trois fois à Paris, de me jeter sous un métro », enchaîne-t-elle. Negzzia décide de ne plus rien devoir à personne : « Je n’ai pas besoin d’aide. Je ne suis pas venue à Paris pour devenir une pute. »
Elle choisit la rue. Avec sa valise et un sac, elle dort sur des bancs, laisse parfois ses affaires dans des hôtels au personnel compatissant. Les jours passent, l’hiver est là, et le froid de la nuit parisienne de plus en plus saisissant. Certains SDF la protègent des dangers de la rue, lui offrent des couvertures, lui disant qu’elle n’a rien à faire là. La journée, elle s’attable à des terrasses chauffées pour emmagasiner un peu de chaleur, et capter un signal wi-fi pour tenter d’exister sur son compte Instagram.
« J’ai vendu mon sac pour 10 euros pour pouvoir manger »
Elle réalise bien quelques photos, mais à usage personnel seulement. Sans statut, elle ne peut pas travailler pour des agences de mannequin reconnues, qui lui ferment toutes leurs portes. Au bord du désespoir, son profil Instagram est sa seule carte de visite. (...)
À ses repas, elle privilégie… le sport ! Pour atteindre son rêve de mannequinat parisien, elle ne peut laisser se dégrader son corps ; elle dépense donc la moitié de ses maigres revenus dans un abonnement dans une salle de sport. Elle y trouve du réconfort et de la chaleur humaine. Un jour, épuisée, amaigrie, celle qui se décrit alors comme un « zombie » s’endort sur un appareil. Ses copains de gym s’organisent alors pour lui trouver un hébergement temporaire, dans lequel elle vit depuis maintenant plusieurs semaines. Une vraie planche de salut.
Un avocat à la rescousse
Ayant eu vent de ses mésaventures, un avocat l’accompagne par ailleurs désormais dans ses démarches. (...)
Pour lui, Negzzia est un symbole. « Elle fait partie de cette multitude d’Iraniens qui nous montrent que ce peuple est loin des slogans extrémistes de ceux qui dirigent le pays, explique l’avocat au barreau de Paris. Ils doivent nous inciter à regarder dans leur direction car ils nous prouvent qu’ils aspirent à vivre librement et dans le respect de valeurs qui nous sont communes. »
Vendredi dernier, Negzzia a passé son entretien à l’Ofpra, comme n’importe quel demandeur d’asile. La récente jurisprudence de la Cour nationale des demandeurs d’asile (CNDA) fait des femmes un groupe à part entière de victimes de persécution en raison de leur condition. Cela pourrait favoriser son dossier toujours en attente d’une réponse, qui n’interviendra pas avant trois mois. Neuf mois après sa demande officielle, elle aura au moins le droit de travailler en toute légalité. Un plus qui ne suffit pas à combler le désespoir. « J’adore Paris, j’aime la France, c’est magique, c’est la ville de l’art et de la beauté. Mais pour l’instant, je n’ai rien trouvé ici et j’ai tout perdu. Je ne peux pas revenir dans mon pays sans risquer ma vie », explique Negzzia, ses yeux noisette rougis par les larmes. Avant de lâcher : « Je n’ai rien à perdre. Je préfère mourir pour mon rêve que d’attendre sans fin des papiers… » Autant un cri d’espoir que de désespoir.