
Nanotechnologies, biologie de synthèse, géo-ingénierie : le système productiviste multiplie les technologies aventureuses pour ne pas avoir à changer les règles d’un jeu qui conduit à la destruction écologique. Pat Mooney, qui anime le remarquable ETC Group au Canada, expose ici ce danger majeur et trop ignoré en France.
(...) Nous n’avons cessé de dire qu’on ne devrait pas célébrer Rio+20, mais Stockholm+40. La première conférence internationale mondiale majeure sur l’environnement a eu lieu en 1972 à Stockholm, et à Rio 20 ans plus tard. Dans ce contexte, l’évolution est tout à fait claire. Nous avons expérimenté une sorte de syndrome de Stockholm dans la société civile où, tous tant que nous sommes, nous sommes tombés amoureux de nos ravisseurs, nous sommes tombés amoureux du système des Nations Unies et nous sommes tombés amoureux des négociations onusiennes. Nous en avons même adopté la rhétorique. Le résultat a été mauvais. Nous, société civile, n’avons pas bien mené notre barque. Et les gouvernements se sont conduits de manière très décevante au cours des quatre dernières décennies. (...)
Les gouvernements n’ont pas pris ces enjeux au sérieux. Je veux dire par là que les gouvernements ont été détournés dès après la conférence de Stockholm. Ils ont été détournés par le néolibéralisme, par le mouvement général en faveur de la croissance économique et par la croyance dans la toute-puissance des technologies, censées être la boîte à outils de tous nos problèmes. Nous nous retrouvons dans un monde peuplé de gouvernements qui nous disent que les politiques sociales ne sont pas à l’ordre du jour, pas plus que les réalités matérielles.
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Soyons clairs, j’apprécie la science et les technologies. Pas toutes, mais je veux encourager plus de science et de recherche. Or, ce qui est proposé n’est pas la solution. Ce qui est proposé, c’est qu’au lieu d’affronter le pic pétrolier comme une réalité, au lieu d’assumer le fait que nous surconsommons les ressources énergétiques et ne pouvons pas continuer à ce rythme, on nous dit de ne pas nous inquiéter, car les nanotechnologies vont nous sauver. Ces nanotechnologies, nous dit-on, accéléreront la domestication de l’énergie du soleil et du vent. Et elles nous permettront de réduire massivement les consommations énergétiques des machines. Quant aux conséquences des agrocarburants sur la crise alimentaire, on nous dit : ne vous inquiétez pas pour ça, nous allons développer des agrocarburants de deuxième ou troisième génération à partir de biotechnologies dites biologie de synthèse. Voilà qui réglera les problèmes. Donc détendez-vous. Soyez heureux et sans souci. On va y arriver.
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Les biologies de synthèse construisent des entités que nous ne pouvons même pas imaginer. L’année dernière, par exemple, des scientifiques de Cambridge ont découvert, en utilisant cette technique, qu’ils pouvaient induire la cellule à ne pas produire 20 acides aminés, qui est la formule à la base de tout être vivant, mais 276. Imaginez la différence entre la vie faite à partir de 20 acides aminés et à partir de 276. Cela veut dire que vous pourriez avoir plus de biodiversité dans une chaussure que dans l’Amazonie entière. Et une diversité biologique non naturelle, le monde n’en a jamais vu avant. Que faire avec ces formes de vie ? Que se passe-t-il si elles sont libérées dans l’environnement ? Tout finit par sortir des laboratoires. Que se passera-t-il ? L’an dernier, nous avons appris, grâce à la biologie de synthèse, que non seulement on pouvait construire des éléments de matière, mais aussi, pour la première fois depuis toujours, une forme de vie auto-réplicante artificielle. Qui va continuer à muter et se multiplier. Le pouvoir de cette technologie, aussi aléatoire soit-elle, est quelque chose qu’on n’a jamais vu sur la planète.
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Nous allons nous trouver dans la situation absurde d’avoir à appeler constamment à des moratoires sur pratiquement tout. Nous avons appelé à un moratoire sur la géo-ingéniérie, et nous l’avons obtenu ; de même, sur les graines du type Terminator, par exemple, et nous l’avons également obtenu ; et un moratoire sur la fertilisation des océans, et nous l’avons obtenu. Et maintenant, nous disons qu’il devrait en aller de même pour les nanotechnologies et la biologie synthétique. Le principe de précaution stipule très clairement que les particules nano ne devraient pas être autorisées dans notre nourriture, nos boissons, et nos pesticides, jusqu’à ce qu’on soit certain qu’elles sont sans danger. Les Nations Unies doivent vraiment nous suivre sur ce point. Nous avons réussi dans d’autres instances, mais nous n’avons pas obtenu gain de cause partout. Et, pour être tout à fait honnête, on se sent un peu ridicule de toujours réclamer la même chose. Il faudrait aller plus loin que des moratoires, adoptés en tant que mesures ad hoc. Nous avons vraiment besoin de conventions internationales relatives à l’évaluation des nouvelles technologies.
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