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Mines d’or en Nouvelle-Guinée : les Papous sacrifiés, leurs montagnes éventrées
Article mis en ligne le 25 mars 2021

La Nouvelle-Guinée occidentale abrite de colossaux gisements d’or et de cuivre. Leur exploitation fait d’elle l’un des « trous noirs de la planète dans le domaine environnemental ainsi qu’en matière de droits humains », documente l’auteur de cette tribune. Premières victimes : les Papous.

La Nouvelle-Guinée est riche. Immensément riche. Cette île de 800.000 km2, la plus grande après celle du Groenland, partage avec l’Amazonie les deux plus remarquables sylves tropicales de la planète. Ces terres ont en commun d’être sauvagement mises à sac ; débitées, déboisées, exploitées à la mesure de leurs ressources et du dénuement des populations autochtones qui en sont spoliées quand elles ne sont pas détruites dans leur identité culturelle (ethnocide) ou leur intégrité physique (génocide). (...)

Là où la Nouvelle-Guinée se distingue — plus précisément la partie occidentale de cette île que l’histoire coloniale divisa en deux [1] —, c’est qu’elle possède en sus de toutes ces ressources (grumes, pétrole, gaz, argent, cuivre…) qui entretiennent notre boulimie consommatrice, de l’or. De l’or en quantité si vertigineuse que son exploitation fait de la Nouvelle-Guinée occidentale (NGO) l’un des trous noirs de la planète dans le domaine environnemental ainsi qu’en matière de droits humains. (...)

L’or est au cœur des principales corruptions qui rongent la NGO

Si la mine a mauvaise presse, la presse a surtout mauvaise mine dès qu’elle évoque le gisement aurifère. Chacun sait que l’inaltérable métal est au cœur des principales corruptions qui rongent la NGO depuis que les Pays-Bas, sous pression américaine, ont transféré à l’Indonésie le dernier atour colonial de leur défunt empire des Indes néerlandaises. En contrepartie, [2] Djakarta devait s’engager à garantir à la population papoue la mise en place d’un référendum d’autodétermination dans les six années suivant le transfert — ce dernier s’est tenu en avril 1969. Six années de terreur (30.000 victimes) au terme desquelles 1.022 Papous (sur 800.000 environ) choisis par Djakarta furent obligés de voter leur rattachement à l’archipel indonésien. Une mascarade référendaire actée par les Nations Unies sous tutelle américaine. En période de guerre froide, gouvernée par la realpolitik, il était inconcevable que l’Indonésie puisse rejoindre le camp soviétique.

Mais une autre force aimantée par un affairisme sans scrupules œuvrait en sous-main. (...)

La montagne étêtée, éventrée, se transforme en une mine à ciel ouvert

Depuis près de soixante ans, des centaines, voire des milliers de millions de tonnes de déchets miniers, ont été rejetés. Il arrive que 700.000 tonnes de déblais soient créées en une journée pour extraire, après broyage et concassage, 250.000 tonnes de minerais. Après une série d’opérations complexes, celles-ci libèrent autour de quinze grammes par tonne pour le filon d’Ertsberg, contre un à deux grammes d’or pour les autres mines en moyenne. Un filon colossal, le plus gros gisement aurifère – et le deuxième en cuivre — jamais découvert au monde.

La montagne arasée et le second gisement épuisé (1973-1988), ce fut au tour du Grasberg d’être exploité avec une débauche de moyens technologiques à la hauteur de ses réserves, estimées dès 1995 à plus de 45 milliards d’euros. La montagne étêtée, éventrée, se transforme en une mine à ciel ouvert, un cratère de deux kilomètres de diamètre. Une exploitation doublée d’avarice et de cupidité prédatrice. (...)

Chargées d’acides, de cuivre, d’arsenic, de cadmium, de sélénium et de cyanure, les fleuves et rivières (Aghawagon, Otomona, Ajkwa, Minajerwi, Aimone...) transportent des boues létales de la cordillère centrale aux plaines marécageuses de ces grands estuaires de zones humides qui filtrent la mer d’Arafura. (...)

Entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, environ 20.000 tonnes de résidus toxiques transitaient chaque jour par le fleuve Ajkwa. Montagnes et mer, faune et flore sont empoisonnées sur plus de 150 km2 ; les résidus étouffent jusqu’à la mangrove défendant le littoral du Parc national de Lorenz, pourtant inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco. Il s’agit de la plus vaste aire protégée d’Asie du Sud-Est (...)

Les Papous tentent de survivre à la périphérie de ces villes qui se dressent sans eux

Les premières victimes de ces atteintes à l’environnement sont les sept communautés papoues voisines. Et tout particulièrement les ethnies Amumgme et Kamoros (deux des 250 groupes ethnolinguistiques que compte la NGO). Expropriés, déplacés sur des terres impaludées et ingrates, pauvres en ressources vivrières (le palmier sagoutier, base alimentaire des Papous des basses terres, est remplacé par l’industrie exportatrice du palmier à huile), les Papous tentent de survivre à la périphérie de ces villes qui se dressent sans eux. Ces terres qui ne sont plus les leurs sont colonisées par des dizaines de milliers de familles venant de Java ou d’ailleurs, transmigrants spontanés ou sponsorisés par le gouvernement central. Un pouvoir soucieux de fournir aux industries locales minières, sylvicoles, agricoles (huile de palme, élevage) une main-d’œuvre abondante et docile apte à acculturer, « indonésianiser » cette population mélanésienne minoritaire sur ses propres terres [4] et qui refuse toujours de disparaître dans ce vaste creuset austronésien de 280 millions d’habitants. (...)

Marginalisés, clochardisés, discriminés quand ils ne sont pas emprisonnés ou assassinés par les militaires et policiers qui assurent la sécurité du site minier [5] les Papous tentent tant bien que mal de survivre dans cet environnement chaotique et populeux (...)

Mais si le travail abonde, les employés ne sont pas forcément papous. La concurrence est rude et l’embauche discriminante. (...)

Grasberg à son tour arasé, Freeport Indonesia remue à présent ses entrailles estimées autour de 1,8 million de tonnes de minerais. De quoi assurer, à raison de 150.000 tonnes excavées par jour, l’activité minière pour au moins trente ans. Le contrat minier expirant en 2021 a d’ailleurs été prolongé jusqu’en 2041. (...)

L’environnement n’est pas une préoccupation majeure au sein des hautes sphères politiques indonésiennes et l’on voit mal comment les actionnaires de la filiale PTFI débourseraient près de quatorze milliards de dollars pour remettre en état le site que la maison mère américaine a détruit. Chacun plaide son irresponsabilité. Quant à la rentabilité de la mine, elle n’a jamais été un gage de générosité pour la majorité de ses 28.000 ouvriers. (...)

Le nouveau président américain Joe Biden vient de demander au directeur de Freeport, Richard Adkerson, d’optimiser sa production de cuivre pour répondre à la transition écologique voulue par la nouvelle administration. Les voitures électriques utilisent en effet quatre fois plus de cuivre que les voitures à essence. L’or a lui aussi le vent en poupe comme toujours en temps de crise. Paradoxe d’une valeur refuge pourtant adossée à tout ce qui sape l’avenir de notre humanité.