
Les flux de migrants plongent aujourd’hui l’Europe dans une crise profonde. Mais les politiques et les outils actuels sont encore moins adaptés aux migrations climatiques annoncées, d’une tout autre ampleur.
En 1951, les 80 millions de personnes déplacées à la suite de la Seconde Guerre mondiale incitaient les pays membres de l’ONU à ratifier la Convention de Genève, socle du droit d’asile et du droit des réfugiés, un statut réservé aux demandeurs d’asile persécutés dans leur pays ou exposés à titre individuel à un risque fort de persécution.
Les réfugiés (qui, selon l’ONU seraient quelque 22,5 millions) ne représentent qu’une partie des migrants(...)
Après la vague liée à la guerre mondiale, les guerres des Balkans ont entraîné une forte augmentation des flux de demandeurs d’asile entre 1991 et 1999, un phénomène qui s’est répété avec les printemps arabes de 2011. Mais, depuis 2014, le phénomène a pris une tournure particulièrement dramatique. (...)
On dénombre ainsi 33.000 noyades en Méditerranée entre 1993 et 2017. Les 45.000 à 50.000 personnes qui la traversent chaque année depuis 2008 ne représentent qu’un quart des immigrants accueillis en Europe, mais les naufrages et, plus récemment, les navires de migrants errant, à l’image de l’Aquarius, à la recherche d’un port européen disposé à les accueillir, symbolisent l’horreur de certaines situations.
Aussi, alors même que ces flux diminuent depuis quelques mois, la crise atteint en Europe un niveau paroxysmique qui, s’ancrant et nourrissant tout à la fois des tentatives de repli sur soi, voire de véritables nationalismes, menace jusqu’à l’unité de l’Europe. (...)
Dans ce contexte, un rapport de la Banque mondiale de mars 2018 évoque 143 millions de migrants climatiques d’ici à 2050 et l’ONU chiffre même ces futurs flux à 1 milliard de personnes sur la même période.(...)
Certains États politiquement instables sont déjà en proie à des tensions en lien avec le changement climatique, telles que le conflit pour l’accès aux terres fertiles et aux réserves d’eau potable qui a nourri la guerre au Darfour, ou encore la crise en Syrie.(...)
En l’absence de traité mondial encadrant les migrations, les initiatives bilatérales antérieures s’étant essentiellement concentrées sur la violence et les conflits comme principales causes des exodes, quel sera le statut de ces migrants environnementaux ? Qui les aidera et les indemnisera ? Comment prouver le lien de causalité entre le changement climatique et leur déplacement ?
Aujourd’hui, les motifs de migration se juxtaposent et s’influencent mutuellement. Les facteurs économiques, politiques et environnementaux s’imbriquent les uns dans les autres et la distinction établie dans les années 1950 entre réfugiés politiques, protégés par la Convention de Genève, et migrants économiques n’est plus pertinente. Un nouveau Pacte mondial sur les réfugiés, actuellement en débat et qui devrait être ratifié par les États membres de l’ONU d’ici à la fin de cette année, s’appuie sur le cadre existant tout en s’efforçant de tenir compte de la réalité actuelle(...)
Autre piste à l’étude : la réinstallation planifiée, désormais incorporée au programme des Nations unies, qui pourrait selon la Banque mondiale réduire jusqu’à 80% les flux migratoires liés au climat. Il s’agirait d’identifier les zones les plus menacées et d’encourager leurs habitants à se déplacer dès à présent. Des migrations saisonnières ou pendulaires permettent d’ores et déjà une diversification des revenus en même temps qu’un allègement de la pression démographique sur les ressources pendant certaines saisons.
Partie intégrante des négociations internationales sur le climat, la migration est reconnue comme stratégie d’adaptation depuis la COP 16 et l’accord de Cancùn de 2010. Considérées à la fois comme une catastrophe à éviter à tout prix, et comme une solution d’adaptation à encourager pour les populations les plus vulnérables, les migrations dites environnementales montrent combien nous sommes désarmés devant ce monde qui vient. (...)